L'humain, au temps où il avait les yeux ouverts, a toujours vu les mille facettes d'une chose, les mille sens d'un mot, les mille visages des bêtes, les mille couleurs d'une plante, ainsi que les liens mystérieux qui unissent le fer à l'étoile, le brouillard à l'arbrisseau, la montagne à la mort, la mort au corbeau et le mélèze à l'enfantement. L'anthropologie nous enseigne que les chiffres anciens étaient magiques, qu'il y avait un tableau des correspondances poétiques entre tous les éléments de la nature, que les arbres avaient charge symbolique, que les animaux et les étoiles se rejoignaient dans des assemblées nocturnes et que chaque geste s'inscrivait dans la démarche sacrée d'une âme en train de suivre une voie.
Nous avons raconté des mythes et des légendes autour d'un feu commun, nous avons ensemble mimé notre vie et fixé les règles du vivre-ensemble. Ce premier droit coutumier ne faisait pas de distinction entre la poésie et le monde. La communauté, son histoire, ses outils, ses courses, ses maisons, ses naissances et ses morts, tout existait dans l'ordre d'une poétique qui donnait vie à l'épée, un visage à la gargouille, une fonction protectrice à la branche de sapin, un sens à la mort de l'oiseau, un pouvoir à la pierre noire et une raison à l'antre de marbre dans les montagnes blanches du royaume des caribous magiques. La pensée originale a le penchant du beau, elle appréhende une totalité, là où l'ourse est ma mère, où les bouleaux sont des jeunes filles mortes enveloppées d'une écorce blanche, où les canots volent dans les nuages de la nuit, où des larmes de fantômes fuient les esprits malins, et ce sera le brouillard qui court à la surface des lacs, aux aurores d'octobre.
La poésie de la vie quotidienne est la plus forte, elle demande une prouesse peu commune : animer l'ordinaire et le répétitif, donner une âme au désamour du monde, faire honneur aux décors de sa propre vie.
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La poésie est un impensable raccourci qui donne accès au coeur multiple des choses. Une société amputée du pouvoir de sacraliser le moindre détail de son être est une société pauvre, constamment en crise de sens.
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Car la poésie, je le dis encore, est un acte de liberté. Nous sommes libres de créer le monde qui nous entoure, l'humain est essentiellement un créateur de mondes. La conscience vient avec cette qualité : l'imagination créatrice. Tu donneras vie aux barreaux de ta prison, tu t'évaderas par la fenêtre ouverte de ton imaginaire, rien ne peut t'empêcher de te recueillir devant une pierre humide, devant une clôture de broche, rien ne t'interdit de résister jusqu'au dernier coup d'oeil.
Ne pas suivre la parade a ses avantages. On voit mieux le défilé lorsqu'on n'est pas dedans.
Le mot "vivant" est synonyme de "vieillissant".
Nous sommes les chemins que nous parcourons.
Les derniers survivants furent simplement abattus, dans cette Californie paradoxale qui se rangeait parmi les États anti-esclavagistes mais qui permit, jusqu’au début du XXe siècle, l’assassinat des Indiens contre une prime du gouvernement.
(Boréal, p.158)
Quand j’étais jeune, j’avais des idées curieuses, des projets merveilleux, et rien ne pouvait m’arrêter. L’expression même — « lorsque j’étais jeune » — s’aggrave de jour en jour. Pour peu que l’on dure et que notre vie s’allonge, la jeunesse est un pays qui s’éloigne de plus en plus de nous.
(Boréal, p.11)
Les derniers survivants furent simplement abatus, en cette Californie paradoxale qui se rangeait parmi les États anti-esclavagistes mais qui permit, jusqu'au début du xxe siècle, l'assassinat des Indiens contre une prime du gouvernement.
Souvenons-nous de Kintpuash, chef modoc, connu sous le nom de Captain Jack au lieu dit Lava Bed. En 1872, sa bande de rebelles fut encerclée, massacrée et finalement anéantie par l'armée américaine. Le Capitaine fut pendu, véritable lynchage de premier ordre. Souvenons-nous d'Ishi, le dernier des Yanas, trouvé errant en bordure d'Oroville en 1911 et qui vécut les cinq dernières années de sa vie au Musée d'anthropologie de la Californie, sous la loupe bienveillante de l'anthropologue Alfred Louis Kroeber. Il mourut de tuberculose en 1916. Il ne s'appelait même pas Ishi; ce nom lui avait été donné par le musée car, dans sa fierté traditionnelle, le dernier des Yanas demeura toujours muet sur son identité face à ce monde étranger qui venait d'exterminer son peuple.
Notre avenir est un grand vide indéterminé que nous comblons en étant. Seulement cela, être.
Ce n'est pas au monde de définir la poésie, c'est la poésie qui définit le monde.