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Critique de Lucilou


Entre "La Princesse de Clèves" et moi, ce fut une histoire tumultueuse... La première fois qu'elle et moi nous sommes rencontrées, j'étais lycéenne et la langue précieuse -et si claire, je le vois bien maintenant- de Madame de la Fayette m'avait semblé fastidieuse au possible. Quant à la princesse elle-même, mais quelle bêcheuse, bon sang! Quelle pimbêche, quelle enfant sage, quelle raisonneuse! Que n'a-t-elle choisi la seule voie qui semblait acceptable à mes quinze ans: la passion, le beau Nemours. Et tant pis pour son époux bien trop gentil, bien trop patient, bien trop aveugle. L'adolescence est intransigeante, terriblement intolérante... Je n'avais à l'époque aucune clef pour éclairer un peu le mystère La Fayette, aucune idée du jansénisme, des idéologies et de la complexité du Grand Siècle. Et ce grand siècle, parlons-en... Cette langue classique, cette froideur…
Des années plus tard et après un coup de coeur aussi dévastateur qu'inattendu pour "La Princesse de Montpensier", j'ai décidé -grande dame, magnanime et tout!- d'accorder une seconde chance à "La Princesse de Clèves".
Peut-être était-ce dû aux études de lettres qui ont laissé en moi une empreinte dont je ne me déferai jamais, peut-être à la fuite de l'adolescence dont je conserve pourtant quelques stigmates et autant de fureurs, peut-être aux années qui ont filé depuis... Peut-être à tout cela à la fois... Je ne le saurai jamais... Ce que je sais en revanche, c'est que cette seconde lecture fut la bonne et que j'ai eu le coeur déchiré par le tourment de la princesse pour laquelle j'ai éprouvé la compassion qu'on éprouverait pour sa meilleure amie en train de se consumer pour un amour interdit, que les intrigues secondaires m'ont passionnée et que j'ai adoré cette vision toute classique d'un seizième siècle que j'affectionne, que la langue de Madame de la Fayette a enfin résonné, tout comme tout ce qu'elle n'a pas écrit mais qu'elle a préféré dissimuler derrière l'éclat des mots, l'orfèvrerie des phrases.
Alors j'ai dévoré, j'ai cherché des films, des adaptations, usé un dvd de "La Belle Personne" et au détour d'un passage dans la librairie, je suis tombé sur le regard et la douceur des traits de la princesse croquée par Bouilhac. Je n'avais pas lu le roman graphique. A vrai dire je n'en avais jamais senti la nécessité avant de le découvrir bien rangé dans son rayon. Cela n'a rien d'étonnant quand on sait mon amour pour les adaptations et les romans graphiques... Mais surtout, surtout... La princesse de la couverture ressemble parfaitement, absolument à l'image que je me suis faite de "La Dame de Monsoreau", un de mes romans préférés au monde. Vous me voyez venir, la groupie du grand Alexandre: c'est grâce à lui autant qu'à Madame de la Fayette que je me suis procurée le roman graphique, que je m'y suis plongée.
Le livre est beau, très beau, nimbé d'une forme de grâce et de beaucoup de mélancolie, comme si les auteures avaient su saisir l'ineffable charme du roman de celle qui fut la grande amie de Henriette d'Angleterre du bout de leurs pinceaux et l'enfermer entre les pages de leur oeuvre, comme un parfum douceâtre qui s'échapperait d'un flacon retrouvé dans la commode bien fermée d'une coquette un peu triste... Non content d'être beau, l'ouvrage est extrêmement fidèle à l'intrigue originale tout en lui conférant ce petit quelque chose que seul le dessin peut offrir. Là où la plume de Madame de la Fayette reste parfois trop subtile, le dessin lui n'hésite pas à dire la brûlure des regards dérobés, le désir douloureux... dans des teintes pastels, d'un trait qui épouse parfaitement l'imagerie et les contours de la Renaissance...
J'ai adoré également le parti pris qui fait de la romancière un personnage qui ouvre et ferme le livre. Cette figure un peu hiératique figée par les Lagarde et Michard prend vie, devient humaine, déchirée elle aussi. Bien sûr que c'est romanesque mais cela constitue également une clef de lecture prompte à révéler ce grand classique... L'idée d'avoir confié les deux récits, les deux temporalités à deux dessinatrices différentes est un choix pertinent qui se justifie aisément par ailleurs. Même si j'ai préféré le trait de Bouilhac, j'ai apprécié celui de Catel et force est de constater que les deux se complètent fort bien. Un vrai joli travail à quatre mains, à six même puisque cette chère La Fayette est là, toute proche.
Réaliser l'adaptation d'un classique n'est pas chose aisée et les risques sont grands: entre le risque de dénaturer et de vider l'oeuvre originale de sa substance et celui de faire quelque chose de si classique, de si monotone qu'on en meurt d'ennui... C'est même casse-gueule...
Ici le risque était grand, la réussite en est d'autant plus belle.

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