Maurice Denis : Le spirituel dans l'art

l'Art reste le refuge certain, l'espoir d'une raison dans la vie d'ici-bas et cette pensée consolante qu'un peu de beauté se manifeste ainsi dans notre vie, que nous continuons l'oeuvre de la création... Alors le travail d'Art est méritoire, inscrire dans la merveilleuse beauté des fleurs, de la lumière, dans la proportion des arbres et le dessin des vagues, et la perfection des visages, inscrire notre pauvre et lamentable vie de souffrance, d'espoir et de pensée. (Maurice Denis)

Nous avons été plus loin que nos devanciers dans notre application à pénétrer l'expression de la nature, de même que notre dépendance vis-à-vis de nos émotions est plus complète,plus douloureuse. Songer que la plupart des hommes qui sentent et qui pensent, peut-être tous, sont la proie de ces tristesses inexplicables, de l'idée de la mort, de cet ennui. Il n'y a qu'une qualité, c'est le courage. Le courage de sa foi, de son droit, de sa personnalité, le courage de sa force. En d'autres temps, avec une sensibilité moins aiguë et surtout moins anormale, nous aurions été d'énergiques lutteurs amoureux de la vie, et dans l'art épris de toutes les plénitudes, de toutes les harmonies. (Maurice Denis)

La première période de ma peinture c'est l'amour, l'émerveillement devant la beauté de la femme et de l'enfant. Intimités passionnées. Je n'avais que peu de moyens. A quoi bon ? Ils suffisaient, l'expression de sentiments vrais seule comptait. Sérusier et Gaughin, après les primitifs, me prêtaient leurs techniques, dont la simplicité s'accordait si bien avec les sentiments que j'exprimais dans la joie.... Je deviens officiel tout en cultivant la secrète inquiétude d'un art qui exprime ma vision, ma pensée, et tout en m'efforçant de mieux réaliser la leçon des maîtres... J'en suis là au début de ma soixantième-dixième année, mes yeux s'en vont...j'ai des commandes, j'ai des dettes : la lutte pour la vie matérielle devient chaque jour plus pressante. Je ne me résigne pas, je ne veux pas céder au découragement. J'ai encore le goût et le sens de la composition. (Maurice Denis)

Qu'est-ce qu'il faut faire ? Entre le besoin que j'ai toujours aussi impérieux de produire, et mes doutes, et mon passé, et mes scrupules de nature et de technique, quel chemin prendra l'artiste qui vieillit ? (Maurice Denis)

Denis commence son journal à treize ans et seule la mort l'interrompt, après soixante ans de vie intérieure intense. Confident, témoin des examens de conscience, carnet de notes pou les œuvres, terrain d'essai des articles, miroirs de son temps; un document historique, littéraire et humain de tout premier ordre, à mettre sur les rayons à côté de celui de Delacroix. Introuvable aujourd'hui à pourtant, et que l'on ne peut ici qu'entrouvrir.

Mission philosophique, politique, sociale, soumission au dogme, retour à la primauté du sujet, qu'il fait pourtant concilier avec l'expressivité: un chemin hérissé de périls, comme celui des peintres "engagés" dans des voies plus dangereuses encore, auxquels on a plus facilement pardonné leurs erreurs. Denis y triomphera des obstacles par les ressources de la vie intérieure et toute personnelle, reposant toujours sur les mêmes bases: l'épouse, la famille, les enfants.

Ce qui est condamné: le culte de la sensation, de l'immédiate transcription des émotions personnelles, d'un soi trop complaisant, qui constitue pour une bonne part le fond de l'esthétique nabie. ce qui est maintenant revendiqué: la volonté, le travail patient, la mesure, l'ordre, la grandeur, la recherche du style.

Le milieu des années 1890 voit Denis se tourner vers les arts décoratifs. mais l'application de l'esthétique Nabis au décor, n'est pas chez lui, comme chez d'autres nabis, une simple et logique extension de l'activité picturale, préludant aux conquêtes de l'Art nouveau dont elle anticipe de fait les formes: elle a d'abord la signification d'une spiritualisation de la vie quotidienne - pour Denis, celle du noyau familial-, comme l'indique l'association aux objets choisis - papiers peints, vitraux, tapisseries, paravent, abats jours, éventails... - de thèmes qui lui sont tout a fait propres.

Peinture religieuse et peinture profane se partagent alors à peu près également l'œuvre de Denis, et l'on n'en sera pas surpris qu'il se voulait dès l'origine être un "peintre chrétien".

Au début des années 1890 Denis a fini de réunir les composantes de sa nouvelle peinture qui, fondamentalement, ne varieront pas: un art dont l'essence est de manifester par sa forme amour et foi, qui sont semblables.