La nuit tous les pas se mêlent
Ce qui nous mène est perdu
L’air est bleu de tourterelles
Le ciel le vent se sont tus
Et pareil à la colombe
Qui meurt sans toucher le sol
Entre l’absence et la tombe
L’oubli referme son vol
Mais il survit du murmure
Où tout se berce en mourant
L’amour des choses qui dure
Au cœur d’un mort qui m’attend
L’aube apprend de l’amour son nom qui toujours tremble
et lui cachant sur quelles mers elle a dormi
monte aux yeux désolés qui la cherchent ensemble
éblouir leur exil aussi nu que l’oubli
EUCHERIA, VI, extrait.
Madrigal
Du temps qu’on l’aimait, lasse d’elle-même
Elle avait juré d’être cet amour
Elle en fut le charme et lui le poème
La terre est légère aux serments d’un jour.
Le vent pleurait les oiseaux de passage,
Berçant les mers sur ses ailes de sel,
Je prends l’étoile avec un beau nuage,
Quand la page blanche a bu tout le ciel.
Dans l’air qui fleurit de l’entendre rire,
Marche un vieux cheval couleur de chemin,
Connais à son pas la mort qui m’inspire
Et qui vient sans moi demander sa main.
D'un cœur noir qu'il est las d'entendre
Tout est trop beau pour être vu
Un amour plus grand que l'espace
Ferme les yeux qui ne voient plus
Et l'ombre que sa forme efface
Mendiant son pas mendiant sa place
Au jour mort d'un rêve pareil
Dira des ombres qui la suivent
Ma vie avait des yeux d'eau vive
Passé prête-moi ton sommeil
Quand l'âme eut froid
Mon cœur ouvert de toutes parts
Et l’effroi du jour que je pleure
D’un mal sans fin mourant trop tard
Je ne fus rien que par hasard
Priez qu’on m’enterre sur l’heure
On reverra dans le brouillard
Avec ses maux et ses années
Le roi qu’il fut dans la fumée
D’un feu qui n’était nulle part
Sa mère avait des yeux d’eau vive
Il reviendra dans le brouillard
Le cœur ouvert par trois poignards
Vidé par les lunes oisives
Mais les ans passent sans nous voir
L’aube naît d’une ombre où l’on pleure
De quoi voulez-vous que l’on meure
La nuit ne sait pas qu’il fait noir
Tout est passé pour nous revoir
Nos pas reviennent nous attendre
On rouvre la classe du soir
Où l’on attend le roi des cendres
J’ai cru le voir dans un miroir
Qui m’est resté de mon enfance
Un chant de source était devant
Qui m’a bercé jusqu’au silence
Et je le suis jusqu’à l’absence
Mon corps s’ouvrant à tous les vents
A bu le froid dans l’eau d’argent
D’un cœur noir qu’il est las d’entendre
Tout est trop beau pour être vu
Un amour plus grand que l’espace
Ferme les yeux qui ne voient plus
Et l’ombre que sa forme efface
Mendiant son pas mendiant sa place
Au jour mort d’un rêve pareil
Dira des ombres qui la suivent
Ma vie avait des yeux d’eau vive
Passé prête-moi ton sommeil
Vieille fille
Il était une vieille fille
Qui sur sa robe de papier
Transportait des oiseaux des îles
Et des archipels par milliers
Les flots agitant leurs mirages
D’un cœur qui pleure à se briser
Défont des roses d’un autre âge
Sur son sein criblé de baisers
Nul amour n'aura chanté
Sans mourir de son murmure
Qu'on n'est plus d'avoir été
Le frisson de ce qui dure
Le Déshérité
On voit à peine son visage
Les malheureux n’ont l’air de rien
Son père dit qu’il n’a plus d’âge
Sa mère dit je l’aimais bien
Des jours brisés qu’il se rappelle
Il n’est pas sûr qu’il ait souffert
Tant sa douleur est naturelle
Son sourire est mort l’autre hiver
ll pleut des jours le jour en pleure
L’avril périt de ses parfums
Et comme lui les regrets meurent
Sait-on d’un mort s’il fut quelqu’un
lls iront le voir à l’asile
ll a des frères il a des sœurs
Jouer aux sous dans sa sébile
Nul ne peut rien à son malheur
S’il a vécu comme personne
Souvenez-vous par charité
Qu’un monstre attend qu’on lui pardonne
L’affreux bonheur d’avoir été
DANSEMUSES
Il s’en faut d’une parole
Qu’elle ait l’âme comme avant
Elle court où les jours volent
Elle est née avec le vent
Ses lèvres chantent pour elle
Tous les oiseaux du couchant
Brûlent ensemble leurs ailes
À ce qui luit dans ses chants
Les heures suivent son ombre
Elle les voit dans les fleurs
Ne devinant qu’à leur nombre
Qu’elle était tout dans leur cœur
Elle est grise et se dit folle
Et danse à fermer les yeux
Un cœur bat dans ses paroles
Nul ne sait où sont ces cieux
Comme un astre dans ses branches
Sa candeur étreint les soirs
Dont elle est la rose blanche
Il faut l’aimer pour la voir
Une larme la ramène
À la lumière des jours
Où l’homme instruit de ses peines
L’enfant qu’elle est pour toujours
Et dans le vent qui chemine
C’est la nuit blanche des pleurs
Dont la lumière orpheline
A vu le jour dans le cœur
p.54-55
SUITE
Vois la brûlure que fait en ce monde l'instant d'avant
les choses tu es la pensée de cet instant et sa chair
hélas
Il n'y aura plus jamais de place pour toi entre la folie
de l'oubli et la folie de toutes les flammes
Courage va Tu as planté la hache les heures sont tes
prisonnières Déjà quand c'est le soir et que l'air change
de couleur tu regardes en te penchant à droite à gauche
comme un piéton à travers les arbres d'un pays inconnu
tu fais tourner les yeux avec les derniers feux du jour tu
marches tantôt doucement tantôt vite comme si tu
suivais quelqu'un
À force de trouver partout la tristesse tu n'auras plus
qu'elle à quitter quand le moment sera venu Une
chanson est dans le jour tu ne sais plus si c'est le vent ou
bien la peur du vent d'ici tu ne sais plus quand elle
t'éveille si ce cœur c'est ta vie ou bien si c'est ta
peine
Tu as deviné dans tous les cœurs un peu de la tristesse
que personne ne connaît comme toi Et c'est toute ta
force en ce monde d'avoir les mains fermées sur ce qui
nous ferait peut-être mourir
p.36-37