Citations sur Troie ou la trahison des dieux (31)
« - Ici, le temps est immobile, expliqua Hector d'une voix monocorde. Ce qui a été, ce qui est, ce qui sera ne font qu'un. »
Un sanglot étouffa sa voix et il l'étreignit de nouveau si rudement, si désespérément qu'il sembla à Cassandre que le monde entier basculait dans ses bras. Éperdue elle-même, elle eut la sensation de s'abîmer dans le néant, de se fondre dans un avenir de lumière, qui lui était pourtant inaccessible, interdit à jamais.
''Voilà donc ce que c'est que l'amour'' […].
- N'attachons-nous pas finalement trop d'importance à l'honneur et au devoir ? chuchota-t-il à son oreille. Hélène devait-elle après tout rester fidèle à Ménélas ? Qui, en la mariant, a donc songé à son bonheur ? Sommes-nous uniquement sur Terre pour assumer nos devoirs familiaux ? Les Dieux ne nous ont-ils pas aussi fait don de vie pour nous permettre d'atteindre aux plus hautes félicités, celles de l'âme et du corps ?
Cette Déesse était une invention des hommes, justifiant leurs appétits lubriques.
Pourquoi aurais-je honte de le regarder dans les yeux ? se dit-elle, je n'ai rien fait de mal. Si quelqu'un a commis une faute, c'est bien lui après tout.
- Mais toi, belle Amazone, as-tu eu un amant dans les steppes ?
- Je suis une vierge d'Apollon, rétorqua vivement Cassandre, je te l'ai déjà dit.
- Dommage qu'une femme comme toi ne connaisse pas l'amour...
- Je t'en prie ! Ne t'inquiète nullement de mon sort, le coupa-t-elle sèchement. Je suis parfaitement heureuse ainsi.
- C'est bien cela qui est le plus navrant, insista Chrysès. Tu es princesse, tu es belle, généreuse – tu viens de le prouver à l'égard de ma fille – et pourtant tu vis seule, consacrant tout ton temps à de misérables quémandeurs, officiant comme une pauvre fille du peuple...
Les hommes ne détiennent aucun pouvoir divin, ne sont pas même capables de donner vie à un enfant, de le nourrir avec leur corps. Et ils prétendent jouir d'un droit privilégié sur le fruit des entrailles de leurs femmes, comme si le seul acte d'accouplement leur conférait sur elles un droit quelconque de propriété !
Lentement leurs doigts se dénouèrent. Puis, sans échanger un mot, dans le silence de la nuit, ils se quittèrent.
Comme une biche affolée talonnée par une meute peu avant de mourir, Cassandre, sans se retourner, se mit à courir vers le temple. Elle était désemparée. Vierge du Dieu Apollon, elle avait succombé à l'amour d'un mortel, venait de rejoindre inexorablement l'innombrable cohorte des esclaves à jamais prisonniers d'Aphrodite.
— Qu'allons-nous devenir maintenant si les dieux interviennent dans nos conflits ? Qu'ils nous laissent mener la guerre à notre guise. Ce n'est pas leur affaire, mais la nôtre. À moins... à moins qu'ils nous mettent désormais à l'épreuve à seule fin de voir si nous aurons l'audace ou la sagesse de nous élever contre leur volonté ? ...
Un instant stupéfaite, [Cassandre] comprit aussitôt qu'elle venait d'entrer en intime communion avec les pensées de Pâris : immobile dans les pâturages de sa jeunesse, il contemplait avec horreur le cadavre survolé par des mouches bourdonnantes du vieil Agélas.
— Toi, toi, mon père... marmonnait-il, ivre de douleur. Pourquoi ? Pourquoi as-tu voulu tenir tête aux hommes d'Agamemnon ? Tu n'avais pas d'autre fils que moi... Je n'aurais jamais dû te quitter... Je t'aurais protégé...
Alors lentement, tendrement, désespérément, il étendit sur le cadavre son manteau richement brodé.
Puisses-tu en effet ne l'avoir jamais quitté ! songea amèrement Cassandre. Pour toi, pour lui, pour Œnone... et pour Troie !