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Critique de Fabinou7


Le célèbre historien Fernand Braudel donne une conférence de vulgarisation de ses travaux sur l'histoire du capitalisme.

“Le capitalisme est, dans la longue perspective de l'histoire, le visiteur du soir.”
Fernand Braudel nous rassure déjà sur le fait que le capitalisme ne date pas des années 80… et il s'efforce de séparer l'économie de marché du capitalisme, trop souvent employés à tord comme deux réalités congénitales. le capitalisme se loge pour Braudel verticalement au dessus de l'économie de marché (celles des artisans, des foires, des commerçants), elle-même au dessus de ce qu'il appelle la vie matérielle locale, habituelle, qui n'a que peu avoir avec le capitalisme : ce capitalisme est dérivé de l'économie sous-jacente. Il n'a ni les mêmes règles ni les mêmes agents (transparence et concurrence pour l'économie de marché, opacité et quasi-monopole pour le capitalisme, paiement comptant, troc, échange de marchandises d'une part et crédit, paiement à l'avance, compensation “clearing” et instruments bancaires papiers pour l'autre, spécialisation du travail et des métiers pour l'économie de marché et polyvalence de quelques acteurs “touche-à-tout” pour le capitalisme, etc).

Ainsi, le capitalisme n'est certes pas nouveau, mais il n'est pas non plus omnipotent, il est une émanation progressive des économies, d'où la “dynamique”. Braudel réfute les visions de Max Weber et Joseph Schumpeter qui fondent l'essor de la modernité sur le capitalisme et sur la figure “deus ex machina” de l'entrepreneur.

l'Historien se fait aussi géographe et analyse, à travers l'Europe, la Chine, le monde Islamique la façon dont le capitalisme structure l'espace, à savoir une ville centrale (Gênes, Amsterdam, Venise, Londres etc) à la pointe des avancées technologiques, scientifiques, industrielles, politiques et sociétales, et des couches périphériques, semblant ainsi donner raison à un certain déterminisme…

La répartition inégale des richesses suit ce mouvement de cercles concentriques, et invariablement, les habitants des zones périphériques, pourtant ancrés dans la vie matérielle et l'économie de marché, ne profitent pas de l'explosion de valeur que crée le capitalisme et sont placés dans une situation de dépendance inextricable, et qui n'a rien à voir avec le travail fourni par eux ; dans ces zones “la vie des hommes évoque souvent le Purgatoire, voire l'Enfer” souligne Braudel.

Quant à la “pointe dominante”, elle se nourrit inlassablement des zones périphériques, ce qui fait écrire à Fernand Braudel que le capitalisme est une “création de l'inégalité du monde”, il n'aurait, pour l'auteur, sans doute pas prospéré sans le développement démesuré des économies dans l'espace, autrefois bornées, induisant aux sociétés d'Ancien Régime le rétablissement de l'esclavage antique dans le Nouveau Monde d'une part et le retour du servage presque disparu en Europe de l'Est d'autre part, constituant ainsi deux zones périphériques du centre économique et capitaliste en Europe de l'ouest (Londres, Amsterdam, Paris, les villes-cités italiennes) qui, à l'inverse, accumule les libertés politiques et individuelles.

“Dès qu'il y a de la concurrence, il n'y a plus d'eau à boire” dit un marchant cité par Braudel, où comment les principes d'une économie libérale (libre concurrence non faussée, interdiction des cartels, des monopoles, transparence, délits d'initiés etc) sont une embûche pour le capitalisme. Braudel souligne également que le capitalisme a besoin d'exploiter les hiérarchies sociales & la complaisance dérogatoire ou du moins de la neutralité de l'Etat qui habituellement garde le contrôle de l'économie (impose des taxes mouvantes, une propriété temporaire de la terre, des règles de transparence et de concurrence) afin de pouvoir tranquillement s'étendre, génération après génération ou pour le dire comme Braudel : “l'histoire de la bourgeoisie, porteuse du processus capitaliste, créatrice utilisatrice de la hiérarchie solide qui sera l'épine dorsale du capitalisme.”

Le capitalisme peine à pénétrer les économies du Moyen-orient et d'Asie, Braudel remarque comme les grandes fortunes ne peuvent y prospérer longtemps, suspectes aux yeux des Princes, de même que les terres sont prêtées par le pouvoir politique, les emplois publics (mandarinat en Chine) sont ouverts à tous. En Occident au contraire, la bourgeoisie grandit lentement à l'ombre des erreurs et des aveuglements de la noblesse, parasitant le champ économique et peu à peu les charges nobiliaires jusqu'à la supplanter. Aujourd'hui encore, certains Etats contrôlent les économies et les capitalistes, quand d'autres semblent totalement dépassés ou pénétrés par eux.

Braudel prend l'exemple anglais, l'avantage décisif et précoce de l'Angleterre dans la révolution industrielle vient de ce que l'espace britannique se structure autour d'une économie nationale dont le coeur unique est Londres, l'économie nationale apparait alors comme la forme la plus aboutie et cohérente pour permettre au capitalisme de se consolider, et d'autre part une unité de vision des capitalistes et élites politiques, à savoir la nécessité d'une économie tournée vers l'international.

Un ouvrage court, synthétique, accessible, très bien écrit, pour qui veut, comme moi, découvrir l'historien Fernand Braudel sans doute plus connu que vraiment lu…

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