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Critique de Manetheren


Ce livre aurait pu ne pas être un roman de science-fiction. Il aurait raconté le même récit, porté la même recherche d'universalité. Tous des Hommes d'Emmanuel Brault est manifestement une oeuvre romantique adaptable à toute trame historique ou protagoniste. Il est une ode à l'altérité, à la lutte pour des valeurs qui devraient être universelles. Il est aussi une histoire d'amour que la société écrase mais aussi bon roman de suspense et de science-fiction avec un lore intéressant.

C'est l'histoire d'un amour imbriquée dans une course politique, elle-même mue par la quête d'une promesse universelle : celle contenue dans notre devise "Liberté, Égalité, Fraternité". le récit se déroule dans une Fédération galactique française composé de 84 planètes, de huit milliards d'habitants et disposant d'une technologie de "bond" permettant de se déplacer à haute vitesse. Sur le vaisseau Ulysse31, le capitaine Vangelis, son apprenti Astide et le mécano Alfred voyagent et réalisent des missions pour le compte de la Fédération. Sortes de missi dominici, les ulysses sont des navigateurs et agents spéciaux de l'État, chargés de protéger le système de tout péril.

Mais les choses ne sont pas simples : Alfred n'est pas un humain mais un être mi-homme, mi-cheval, fruit d'expériences génétiques, qu'on nomme Centaure. Il n'est pas unique, ce n'est pas un Wolverine ou une Poison Ivy. Son espèce est millions. Son peuple est traité comme du bétail, exploité sur les tarmacs des 84 planètes de la Fédération, maltraité par des propriétaires humains sans scrupules. Alfred, ayant bénéficié d'une instruction, est conscient des misérables conditions d'existence de son espèce. Lorsqu'il quitte brusquement le vaisseau, il émerge de l'ombre et se lance dans une exceptionnelle quête politique : représenter les Centaures au Parlement. le livre prend alors parfois des accents de thriller et de souvenirs de guérilla. Sûrement la partie palpitante du récit.

Le livre s'arrache pourtant à un manichéisme : tous les propriétaires ne se comportent pas mal, certains propriétaires autorisent même l'instruction des jeunes centaures, ce qui leur ouvre la porte à des métiers plus qualifiés. Mais... "tous les propriétaires ne se comportent pas mal"... ? Une phrase qui sonne mal, vous ne trouvez pas ? C'est dans cette position inconfortable du spectateur inactif que nous place le livre. Pire, lorsqu'on écoute le jeune Astide, on devient complice, comme lui et comme Vangelis, du système oppressif. D'ailleurs, on le voit, Astide n'arrive pas à comprendre pourquoi le Centaure se bat. Il se dit fréquemment qu'Alfred pourrait se contenter de quelques avancées sociales. Pourquoi défendre l'égalité entre les Centaures et les Hommes alors qu'ils pourraient obtenir un salaire minimum garanti ? J'ai trouvé cette approche du récit absolument réussie.

Cette lutte apparaît moins qu'une ambition politique que le combat suprême d'un peuple contre l'oppression sournoise d'une société. C'est aussi la revendication du droit d'affirmer ces valeurs si universelles de notre République. Quel tragique plaisir de suivre Alfred dans ce combat qui l'extrait des ténèbres vers la lumière avant de le renvoyer au coeur de la nuit. Ce récit m'a rappelé ces histoires de révoltes qui ne se finissent pas par une victoire. "Ils pourront couper toutes les fleurs, ils n'empêcheront jamais le printemps" exortait Pablo Neruda.

Enfin, sur le tout se greffe une histoire d'amour. Une histoire d'amour qui en rappelle bien d'autres, tellement elle casse les conventions sociales de cet univers. Alfred et Vangelis s'aiment. Mais un humain et un centaure ! S'aimer ? Quel est leur droit à s'aimer ? Où dans la société y aurait-il une place pour un tel amour ? C'est cette conquête-là la plus belle, celle qui traverse le récit, qui traverse la vie et la mort.

Le livre est drôlement bien fichu : il est truffé de référence à l'Histoire de France, à sa littérature, à ses personnalités, à son système politique et de valeurs. Les planètes et les rues portent les noms de personnages contemporains ou de notre gloire d'antan. C'est bizarre et satisfaisant à la fois (un peu cocorico celui-là sur le bord, oh la la). Après, ça reste quelque chose de dérangeant. Comme dans la saga du Dévoreur de Soleil, je ne suis jamais totalement convaincu par des univers loin dans le futur qui font autant référence à l'histoire très passée. Pour Tous des Hommes, ça va, on est dans le futur d'une centaine d'années.

Sous couvert de science-fiction, Emmanuel Brault brandit un livre humain qui nous rappelle nos quêtes de liberté, d'amour, notre regard extérieur sur ceux qui sont différents, et nos valeurs enchâssées dans notre devise : Liberté, Égalité, Fraternité.

Merci à Babelio et aux éditions Mnémos pour cette superbe découverte.
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