Citations sur Haute saison (43)
J’ai horreur de ces gens qui choisissent entre ceux auxquels ils témoignent du respect, et ceux qu’ils dédaignent — les employés, les serveurs, les dames de ménage — tout cet aréopage de « petites gens » dont la mission se résume, selon eux, à rendre service.
Vous connaissez le kintsugi ? C’est un art japonais qui permet de recoller les morceaux d’un verre brisé. Pour le réparer, on utilise une laque dorée qui sublime les fêlures de l’objet. Et le rend plus beau que lorsqu’il était intact.
Désormais, plus rien ne doit bouger. Tout doit rester tel quel, dans le cocon rassurant d’une normalité sans surprise. Parce que le reste fait trop souffrir, et que chercher à modifier quoi que ce soit, c’est risqué de tout perdre.
C'est peut-être ça, qu'essayent de recréer ces clubs pour familles qui n'osent pas partir seules. Replonger des adultes solitaires dans l'évidence des liens naturels qui unissent les êtres, une évidence devenue suspecte, incongrue, encombrante avec le temps.
- (…) Éteignez cette tablette !
- À la maison, on a le droit.
- Eh bien, justement. On n'est pas à la maison. Ici, c'est moi qui dicte les règles et j'ai décidé que cette semaine, nous allions la passer sans écrans.
Les deux enfants tournent la tête dans un même mouvement. Comme si leur grand-mère venait de leur annoncer qu'ils allaient cesser de se nourrir pendant une période indéterminée. Romy, cinq ans, des nœuds plein les cheveux, l'observe avec de grands yeux encore embués de sommeil. Et Pierre, trois de plus, en lâche son doudou.
- Hein ? Mais... comment on va faire ?
- Eh bien, comme autrefois : quand j'étais petite fille et qu'on ne perdait pas sa courte vie à regarder des dessins animés idiots ou à cliquer sur des ordinateurs comme des zombies. On va jouer, se baigner, lire, se faire des amis. Enfin, surtout vous. S'ennuyer, même.
Ma grand-mère racontait toujours qu'il fallait pouvoir s'appuyer sur au moins trois piliers pour ne pas vaciller. L'amour, le travail et un toit sur la tête. Quand on est jeune, les deux derniers sont induits, alors on mise tout sur l'amour. Ensuite, on est un peu moins exigeant, plus terre à terre, et on se focalise sur les deux autres parce que papa et maman ne sont plus là pour assurer le matériel. Mais quand deux des trois ont foutu le camp, on perd l'équilibre. C'est peut-être aussi une bonne façon de se remettre en question, de réfléchir à changer de points d'ancrage. Ou à la manière de renouer avec ceux qui ont fini par céder.
Vous savez, les épreuves, on peut les accueillir en victime, se persuader qu'on n'y est pour rien, que c'est injuste, et qu'on ne méritait pas de les subir. Et puis on peut aussi s'en servir comme d'un tremplin, ou du moins les prendre comme une manière différente de voir le monde.
C'est fou le nombre de gouttes d'eau qui ne font pas déborder le vase.
Oui, au fond de Fanny, on trouve des photos de Margaux et Jérémy bébés, des polaroïds de Victor, des petites cartes maladroites décorées de gommettes et de cartes " bonne faîte , maman", des bodys minuscules qu'elle n'a toujours pas jetés, des livrets scolaires, des photos de classe de maternelle, des coccinelles en pâte à sel aux aimes arrachées, des après-midi de pluie blottie contre ses enfants encore petits, des soirées à lire trop tard pour eux, sa chaise calée contre le lit de Margaux, Jérémy à moitié endormi sur ses genoux, qu'elle câline en imitant la voix de l'ogre qui leur fait si peur.
J'ai horreur de ces gens qui choisissent entre ceux auxquels ils témoignent du respect, et ceux qu'ils dédaignent - les employés, les serveurs, les dames de ménage - tout cet aéropage de "petites gens" dont la mission se résumé, selon eux, à rendre service.