Est-ce que cela servait à quelque chose, de dépenser tout cet argent pour aller se faire chier à la montagne si ça ne rendait personne heureux ?
Parce que la différence de moi, lui avait choisi tout ça. Il avait posé jour après jour les pierres de sa prison
Peut-être qu'il en était ainsi. Aux enfants grandissent, vos photos de mariage commence à faner, et votre vie se résume alors à vous chamailler pour des problèmes domestiques.
Je me suis toujours demandé pourquoi ces adultes avaient choisi de rester là, au milieu des craies, des tampons de feutre, des copies doubles et des radiateurs écaillés.
Avaient ils tellement aimé leurs années collège qu'ils n'avaient jamais pu les quitter ?
Si j'y réfléchissais bien, ils étaient un fous.
Nous, les élèves, on passait beaucoup de temps à imaginer la vie des profs derrière leur tableau noir, leur grand pupitre en bois et leurs costumes de scène dont on connaissait le moindre détail. " Tiens, elle nous a ressorti son pull rose ".
Avaient ils des familles, des maris, des passions autres que celles de martyriser des générations d'adolescents terrorisés ?
La vie a repris des couleurs ce soir-là, et j'ai vraiment cru que les derniers mois n'avaient été qu'un passage à vide, le sas obligé entre deux existences qui ne pouvaient se juxtaposer brusquement, parce qu'il fallait que les choses se remettent en place, comme après mon opération de l'appendicite, quand il avait fallu attendre plusieurs, à l'hôpital, que mon corps redevienne opérationnel.
“Pourtant, mes fesses, je les cachais tout le temps sous un pull que je nouais autour de ma taille. En classe, je faisais pareil, au cas où je serais appelée au tableau, et où trente paires d’yeux auraient alors tout le loisir de les détailler.”
“« Un jour, tu penseras qu’on est des vieux nuls. Tu ne seras plus notre petite fille, tu ne nous trouveras plus formidables, surtout moi », déclarait maman, avec l’espoir évident que cette sombre prophétie n’adviendrait jamais. C’était il y a longtemps, lorsque je les trouvais tellement géniaux tous les deux.
Je n’avais aucune envie de lui donner raison, parce que rien ne m’énervait autant. Mais si je comparais maman avant et maman aujourd’hui, c’est vrai qu’elle avait changé, et je ne crois pas que c’était dû à une quelconque modification de ma part.”
“Sortez une copie double grand format, grands carreaux, perforée, et écrivez dans la marge vos nom, prénom, classe.
Puis, à six carreaux exactement du bord sur la première ligne, la date du jour, que vous soulignez en rouge, proprement.
Deux lignes plus bas, la profession du père. En dessous, celle de la mère. Plus bas, le métier que vous envisagez de faire plus tard. Ça ne vous intéresse pas, au fond ?
Elle a élevé la voix d’un coup, sans prévenir, si bien que mes doigts se sont crispés sur mon stylo-plume comme les serres d’un oiseau sur une branche. J’ai rentré la tête, et tous les regards se sont tournés vers moi. Pourtant, je n’ai rien dit, ni émis de son. Pas mon genre, de chahuter en classe. Surtout le premier jour. Non, c’était derrière moi que ça se passait, au tout dernier rang.”
Je me suis laissé soudain envahir par un sentiment de bien-être mêlé de mélancolie, une sensation paradoxalement agréable et douce, malgré la fine couche d'affliction qui la recouvrait. C'était peut-être ça qu'on nommait la puberté, l'adolescence.