Élévation, tome 1 : Jusqu'au coeur du Soleil

— Docteur Kepler, il se pourrait que je trouve le temps de vous venir en aide… peut-être. (Jacob haussa les épaules.) Mais d’abord je serais content de savoir de quoi il retourne !
Le visage de Kepler s’illumina.
— Oh, se peut-il que je ne vous l’aie pas expliqué ? Je suppose que j’évite d’y penser ces jours-ci… Je ne fais que tourner autour du sujet, pour ainsi dire. (Il se redressa et prit une profonde inspiration.) Monsieur Demwa, déclara-t-il, il semble que le Soleil soit hanté.

Culla et Jeffrey apparurent sur le seuil, la face mi-simiesque, mi-humaine du chimpanzé contorsionnée par une grimace dédaigneuse.
Il tapota son clavier.

LR MALADE. A VOMI EN TRAVERSANT LA RAMPE. SALOPARD DE CHEMISE !

Culla parla au chimpanzé à voix basse. C’est à peine si Jacob put distinguer ses paroles.
— Ekchprimez-vous avec rechpect, ami Jeff. M. LaRoque est humain.
Indigné, Jeffrey lui fit savoir, avec force fautes d’orthographe, qu’il était aussi respectueux que n’importe quel chimpanzé, mais qu’il n’allait pas lécher les bottes des humains, et surtout pas d’un humain qui n’avait pas contribué à l’Élévation de sa race.

DOIS-TU VRAIMENT TE LAISSER EMMERDER PAR BUBBACUB SIMPLEMENT PARCE QUE SES ANSÊTRES ONT RANDU SERVISSE AUX TIENS IL Y A UN DEMI-MILLION D’ANNÉES ?

Les yeux du Pring s’enflammèrent. Un éclair blanc fulgura derrière ses lèvres épaisses.
— Je vouch en prie, ami Jeff, je chais que vous voulez mon bien, mais Bubbacub est mon patron. Les humains ont accordé la liberté à votre rache, La mienne doit chervir. Ain-chi va le monde.
Jeffrey renifla.
— Nous verrons, croassa-t-il.

Le générateur de stase contrôlait l’écoulement du temps et de l’espace à travers le corps du vaisseau solaire, de façon que les violents remous de la chromosphère ne semblent aux passagers qu’un doux bercement. La physique fondamentale du générateur demeurait en partie une énigme pour les scientifiques terrestres, bien que le gouvernement ait tenu à ce qu’il fût construit de main humaine.
Les yeux de Culla luisaient, et sa voix chuintante trahissait sa fierté devant les nouvelles technologies que la Bibliothèque avait apportées à la Terre.
Les processeurs contrôlant le générateur ressemblaient à un fouillis de filaments hyalins. Culla expliqua que les bâtons et les fibres enregistraient beaucoup plus d’informations optiques que la technologie terrestre antérieure au Contact, et réagissaient plus vite. Des franges d’interférence bleues montaient et descendaient le long du bâtonnet le plus proche, paquets clignotants de données scintillantes. La machine semblait avoir quelque chose de vivant.

Kepler avait fait un court exposé sur la dynamique fondamentale de l’intérieur du Soleil, l’astre lui-même, dont la chromosphère n’était que la mince enveloppe.
Au centre, le poids inimaginable de la masse du Soleil provoque les réactions nucléaires produisant la chaleur et la pression, et empêchant l’énorme boule de plasma de se contracter sous sa propre force de gravitation. La pression permet au corps solaire de garder son volume.
L’énergie dégagée par les feux centraux progresse lentement vers l’extérieur, parfois sous forme de lumière, parfois sous forme d’un échange par convexion de matière brûlante venant d’en bas contre une matière plus froide revenant de la surface. Par radiation, puis convexion, puis de nouveau radiation, l’énergie atteint la couche épaisse de plusieurs kilomètres connue sous le nom de photosphère – « sphère de lumière » –, où elle trouve enfin la liberté et part à tout jamais, dans l’espace.
Si dense est la matière à l’intérieur d’un astre qu’un cataclysme soudain à l’intérieur mettrait un million d’années à se manifester par un changement dans la quantité de lumière émanant de la surface.

Pas de Culla en vue.
Pas de Hughes non plus. Il siffla deux notes brèves, selon le code convenu. La voie est libre. Il entendit une note : la réponse de son compagnon. La fois d’après, il dut plonger sous le rayon. Pendant toute la durée de ce bref trajet, il eut la chair de poule, s’attendant à tout moment à sentir un éclair lui brûler le flanc.
Il se blottit en trébuchant derrière la machine et s’y cramponna pour garder l’équilibre, la respiration haletante. Ça n’allait pas ! Il n’aurait pas dû être déjà aussi fatigué. Quelque chose clochait.
Jacob déglutit puis se mit à faire glisser le miroir le long du rebord antihoraire de la machine.
Une douleur lui transperça le bout des doigts, et il lâcha le miroir en poussant un cri. Il faillit se fourrer les doigts dans la bouche, mais s’arrêta net, la bouche ouverte sous l’effet de la souffrance.
Machinalement, il entra dans une légère transe destinée à soulager la douleur. Les tisonniers rougis commencèrent à s’éteindre, tandis que ses doigts paraissaient plus lointains. Puis l’influx analgésique cessa.

L'ET ressemblait bel et bien à un brocoli géant. Des pousses arrondies, bleues et vertes, formaient des excroissances sphériques et symétriques autour d'un tronc strié et noueux. Ici et là, de minuscules flocons cristallins garnissaient l'extrémité de certaines branches et formaient un agglomérat vers le sommet, autour d'un évent invisible.

Le feuillage s'agita, et les cristaux du sommet tintèrent au passage de l'air exhalé par la créature.