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Critique de mumuboc


"Une fois dans sa vie, juste une fois, on devrait avoir suffisamment la foi en quelque chose pour tout risquer pour ce quelque chose. (p335)"

Rien ne prédestinait Ben du Toit, afrikaner paisible, professeur d'histoire, marié et père de trois enfants à se confronter aux sbires de la Section Spéciale mais lorsque Gordon, le jardinier noir du lycée où il enseigne lui demande de l'aider à retrouver son fils, Jonathan, qui a disparu,  il le fait autre arrière-pensée que celle d'aider un homme à retrouver son fils.... Mais nous sommes en Afrique du Sud où règne l'apartheid, où la domination blanche s'exerce dans la violence et l'injustice.

Interdit lors de sa publication dans son pays et malgré tout couronné par le prix Médicis Etranger, ce récit possède tous les ingrédients d'un roman sauf qu'il a été inspiré par des faits réels que l'auteur a recontextualisé pour en faire une oeuvre bouleversante justement parce que l'on ne peut occulter le fait que tout est vrai.

"Dès le plus jeune âge, on accepte ou l'on croit que certaines choses existent d'une certaine manière. Par exemple : que la société est fondée sur la notion de justice et que, chaque fois que quelque chose va mal, on peut faire appel au bon sens ou à la notion de légalité chez l'être humain, pour espérer la correction d'une erreur. Puis, sans aucun avertissement, arrive ce que Melanie a dit et que j'avais refusé de croire : on découvre que ce qu'on avait accepté comme prémices ou conditions de base - vous ne pouvez qu'accepter si vous voulez survive - n'existe pas. (p200)"

J'ai tout aimé dans ce roman : sa construction, le récit par le narrateur recevant une longue lettre confession-testament, les personnages et en particulier Ben du Toit, qui se débat entre une vie de couple désenchantée, une prise de conscience sur le monde dans lequel il vit mais dont il n'avait jamais compris ce qu'il cachait, une rencontre avec une journaliste, Melanie, un chauffeur de taxi, Stanley, mais surtout celle de Gordon, un père qui veut savoir pourquoi son fils a disparu.

L'auteur restitue parfaitement l'ambiance pesante, suspicieuse d'un pays où il ne fait pas bon se mélanger, côtoyer ou venir en aide à ceux que l'on humilie et rabaisse, où la violence voire la torture fait partie du quotidien, où il faut se méfier de tout et de tout le monde et Ben va le découvrir à ses dépends. Tout le cheminement de la pensée de Ben, de sa prise de conscience, de son regard "neuf" qu'il porte sur son pays, sur sa justice, sur tous les rouages d'un monde dont il s'est exclu jusqu'à y perdre, tout ce qui était jusqu'à ce jour lui et qui maintenant lui est étranger, tout cela est parfaitement maitrisé, développé mais avec un flux d'écriture fluide, implacable donnant  profondeur et consistance à chacun des personnages.

André Brink dresse le tableau de l'Afrique du Sud, de Soweto, de ses townships, de ses quartiers blancs où l'on se donne bonne conscience, des violences des deux côtés mais surtout du pouvoir et de la justice d'un pays où le blanc a tous les pouvoirs et s'arrange avec les lois, les preuves et fait régner la peur et la mort. Dès les premières pages je me suis sentie happée par l'histoire autant que par le contexte, l'auteur dosant savamment l'enquête, la psychologie et parfois le mystère de certains des personnages, l'enquête et ses rebondissements mais aussi l'histoire entre Ben et Melanie.

Ce roman je l'ai depuis des années sur mes étagères, jamais ouvert et c'est un coup de coeur à la fois pour ce qu'il dénonce mais surtout pour la manière dont l'auteur le traite, se plaçant à la fois dans le personnage de Ben mais aussi son propre regard, celui sur des événements qu'il a lui-même connu. Cela se lit à la fois comme une page d'histoire, avant que Mandela soit libéré et soit élu, mais aussi comme un roman, une enquête que l'on ne lâche pas, espérant toujours mais dans lequel, au fil des pages, on sent l'étau se resserrer autour de Ben et sa quête de justice.

"Comment un gouvernement peut-il gagner une guerre contre une armée de cadavres ? (p150)"

Que demander de plus à la littérature quand celle-ci nous fait entrer également dans la réalité d'un pays avec un récit et des mots qui en font un roman qui marque, qui émeut, qui révolte et dont la portée laisse une trace indélébile dans notre esprit.
Lien : https://mumudanslebocage.wor..
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