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Critique de Musa_aka_Cthulie


C'est une lecture un peu compliquée que celle des poèmes d'Emily Brontë, qui recèlent un aspect non pas abscons, mais pour le moins obscur - et ce dans tous les sens du terme.

Je ne vous ferai pas l'injure de m'attaquer à la stylistique, d'une part parce que cette version-ci ne comporte que deux poèmes en français et en anglais et qu'il est difficile d'analyser l'ensemble d'un point de vue formel en l'absence de la version originale (sans compter mon anglais déficient). D'autre part, je suis très peu compétente en matière de stylistique de la poésie. Donc je vais faire plus ou moins abstraction de la forme dans mes commentaires pour m'intéresser davantage au contenu, bien que ce soit une très mauvaise manière de procéder.

Un aspect de ces poèmes saute aux yeux : l'obsession de la mort. Je ne sais même pas s'il en existe un seul, dans le recueil, qui ne l'évoque pas. Ça n'est pas spécialement étonnant pour l'époque ; ce qui l'est davantage, c'est que revienne presque constamment le thème de l'attente de la mort comme délivrance. Je n'ai pas pris la peine d'établir des statistiques, mais je suis pratiquement certaine que deux tiers au moins des poèmes sont porteurs de cet espoir d'une mort prochaine, appelée par le narrateur ou la narratrice (et les autres parlent de deuil, pour faire court). Dans les textes, poétiques ou pas, du courant romantique, le sujet en question est certes exploité, mais tout en versant parfois - à vrai dire, trop souvent à mon goût - dans l'artifice. Or, rien d'artificiel, à mon sens, chez Emily Brontë. Il y a chez elle quelque chose d'un peu plus brut, d'un peu plus sauvage, de beaucoup plus naturel. Et de pathologique. La poésie d'Emily Brontë relève de la pathologie de la dépression (et non de la mélancolie affectée de certains auteurs), ce qui la rend à mes yeux à la fois particulièrement intéressante et sincère. Et si je parle de dépression, ce n'est pas seulement à cause de l'obsession morbide qui envahit le recueil, mais aussi parce qu'on reconnaît certains symptômes décrits dans les poèmes, comme le rejet de la compagnie des autres ou l'aversion pour la lumière du jour. Il y a quelque chose de la Mariana de John Everett Millais (et donc de Lord Alfred Tennyson) dans cette poésie de la lassitude de vivre, quelque chose de la beauté morbide qu'on retrouve, pas seulement chez les Préraphaélites, mais aussi dans les photographies de Henry Peach Robinson.

Voilà pour une approche globale des poèmes présentés dans le recueil. Quant à les scruter de près, c'est une autre paire de manches. Pour nous faciliter la tâche, il est courant que plusieurs personnages y prennent la parole, sans que l'on sache qui ils sont, ni même, parfois, de quoi il est question - sinon de manière très générale. le fait que ces poèmes soient issus du monde imaginaire de Gondal, créé par Ann et Emily, n'y est pas pour rien. Certains poèmes ont été identifiés comme relevant clairement de cet univers (les initiales renvoyant à des personnages de Gondal l'attestent), d'autres pourraient y participer, d'autres encore s'en détachent et pourtant ressemblent aux autres. Et étant donné le peu d'informations dont nous disposons sur Gondal, le lecteur nage dans le flou la plupart du temps. Malheurs, deuils, cruauté, amour et vengeance : voilà ce qui ressort essentiellement de ces vers. Et cette aura de mystère insuffle un nouvel intérêt, et pas des moindres, à l'oeuvre : on se prend à rêver à l'infini des personnages de Julian, Rochelle, Augusta...

Qu'on se le dise : Emily Brontë n'a pas seulement écrit Les Hauts de Hurlevent (ce qui n'est déjà pas si mal) ; on trouve dans sa poésie un univers parallèle, complémentaire, parfois très proche (on croit effectivement voir Heathcliff dans Alors le chien de la maison réétendit), d'une morbidité peut-être plus douce, et qu'on ne peut en tout cas réduire à une sorte d'essai préparatoire pour son unique roman.
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