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Critique de Pasoa


Pasoa
19 février 2023
" Naître par hasard
naître femme
naître pauvre
naître juive
c'est trop
en une seule vie."

Pourquoi aurais-je survécu ? " est un saisissant recueil de poésie regroupant quelques-uns des textes d'Edith Bruck écrits entre 1975 et 1990. L'auteure, originaire du village Tiszabercel (Hongrie), a 13 ans lorsqu'elle est déportée à Auschwitz avec l'ensemble de sa famille. Survivante des camps de la mort, elle s'installera à la fin des années cinquante en Italie où elle deviendra écrivaine, scénariste et poétesse.

Les vers ci-dessus suffiraient presque à eux seuls à décrire le trouble suscité par la lecture de ce recueil. Il se présente comme une suite de réflexions, de rêveries, de souvenirs, tous d'origine autobiographique.
Dans des textes assez courts pour la plupart, ce qui marque avant tout dans l'écriture d'Edith Bruck, c'est la légèreté narrative, la simplicité des mots dont elle use pour rendre compte du tragique. Chez elle pas d'obscurité allusive, pas d'exercice de formalisme. Pour l'écrivaine, il s'agit avant tout d'isoler un souvenir ou une scène, d'établir autour de lui un cadre poétique, une narration pure qui puisse toucher au plus près, un récit qui puisse créer une dimension qui soit la plus essentielle, la plus déterminante.

" Te nommer
te diminue
même le nom de Dieu
n'a pas tenu
je pourrais t'appeler
d'un nom jamais donné
comme un lieu jamais vu
je pourrais t'appeler
d'un nom encore à inventer."

Il fallut à Edith Bruck pour écrire une langue qui ne soit pas celle de ses origines (hongroise et juive), pas celle de ses tortionnaires, une langue nouvelle qui puisse accueillir ses silences, sa douleur, son espoir aussi. Il lui fallut aussi la poésie, «cette folie des purs, des innocents » pour rendre compte de la barbarie, de l'indicible.
La présence de sa mère disparue revient souvent comme celle de tous les siens, de celui qui fut son compagnon (Nelo Risi) ou encore de son ami Primo Levi. de Dieu aussi, de son silence.

Dans des textes tous remarquables, avec une infinie pudeur, Edith Bruck parle du temps et des êtres disparus, de ce qui ne reviendra plus, de ses doutes sur ses contemporains prompts à vivre le seul présent, sans jeter un seul regard sur le passé, de cette solitude qui au fond n'épargne personne.

" Il semble que j'existe
les gens me sourient
m'appellent d'un nom
qui n'est pas le mien
on me regarde
on comprend quand j'ouvre la bouche
dans une langue
qui n'est pas la mienne
on me parle
on dit des choses
sur moi
et on me connaît pas
sur mon passeport
je suis mariée
mais je vis seule
j'ai une adresse
et j'aurai une sépulture
dans un endroit où il n'y a pas de tombe
sur laquelle pleurer
il semble que j'existe
je travaille je respire
j'entends que le concierge
me dit bonjour. "
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