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Critique de Patsales


Après un démarrage époustouflant, j'ai passé l'essentiel de ma lecture à me demander si ce livre était génial ou inepte. Je penche finalement pour le moyen terme : c'est un premier roman.
Côté coup de coeur : une atmosphère particulièrement réussie. Un père et un fils seuls survivants d'une famille décimée par un accident de voiture, qui se haïssent autant qu'ils s'aiment. Deux mathématiciens, l'un prodige, l'autre raté, tout deux protégés par les caïds locaux d'une cité soviétique abandonnée de Dieu et du diable. Un vieux pull ensanglanté. Et surtout un style intrigant, presque hypnotisant, qui conjugue poésie et formules mathématiques incompréhensibles aux non-initiés. Ça donne:

« Toute variété topologique de dimension 3 a une unique structure PL et essentiellement une unique structure différentiable.

Il est des ouvertures qui annoncent le sang – et ce n'est pas tant la manière de défoncer la porte ou de l'ouvrir calmement qui compte
que les regards de propriétaires,
que les armes lourdes,
que le calme parfait avec lequel ils entrent. »

(Précision qui n'est pas dénuée d'importance : c'est le frère mort qui guide le lecteur. Il ne comprend pas tout et le lecteur encore moins.)

Donc, disais-je, au début, j'étais clairement en mode wahou, yeux écarquillés et narine palpitante. Mais Brunel, au lieu de se contenter de ses maths, de sa famille dysfonctionnelle, de ses vers libres, de ses bas-fonds et de son fantôme, a cru bon de charger encore la barque - et pas qu'un peu. Il évite pourtant le naufrage : c'est vous dire s'il est doué. Mais il rame et nous avec.
Alors, déjà, il ajoute la métaphore du jeu d'échecs. J'ai dû lire quelque part que « Echec et mat » voulait dire un truc du genre « J'ai tué papa nanananère», ce qui laisse d'abord penser que la métaphore en question n'est pas dénuée de pertinence. Mais très vite, des qu'un personnage réfléchit un tant soit peu avant d'agir, paf, c'est Kasparov, et chaque parole ou chaque geste semble pouvoir être analysé comme la preuve d'une tactique machiavélique où tout est prévu (sauf peut-être mon exaspération qui point).
Ensuite, comme une famille dysfonctionnelle ne suffisait pas, Brunel en ajoute une deuxième. Dans la première, l'autiste génial vit dans une cabine téléphonique dont il ne s'extirpe que pour être accusé d'avoir trucidé Papa ; dans la seconde, l'orphelin anorexique culbute une jeune héritière de la nomenklatura qui meurt en accouchant de l'enfant conçue la nuit même de leur coup de foudre. Si, si.
De toute façon, Brunel se prend pour Dostoïevski et tous ses personnages suent l'excès par tous les pores: le flic génialement génial, l'infirmière dévotement dévouée, le malfrat indestructiblement indestructible… Décidément, tant de clichés feraient croire que Brunel lorgne au moins autant du côté de Barbara Cartland.
Quant aux formules mathématiques qui ouvrent chaque chapitre, elles finissent par contaminer tout le texte. Au début, elles créent une agréable étrangeté : « il s'avance dans l'obscurité à courbure strictement négative du couloir. » Mais, très vite, cela tourne au procédé et en devient franchement ridicule : « Yefim a sorti un Beretta qu'il avait chopé et il l'a pointé sur le mec. Mais le mec ne bougeait pas – et sa peur était une sphère de rayon r dans l'espace euclidien de dimension (n + 1).  » Vous m'en direz tant.
Enfin, l'erreur la plus manifeste est l'épaisseur du roman. 528 pages quand même, et pas toutes indispensables à mon humble avis. Or, s'il y a une caractéristique commune aux maths et à la poésie, c'est bien la concision. L'art d'exprimer un monde en quelques phrases définitives. « Complètement immergé dans ses feuilles de calculs, Dmitri affine ses hypothèses, il les réduit à leur plus simple expression. Il a toujours aimé ce moment ; quand il s'agit d'élaguer. Quand chaque mot doit être à sa place et non plus perdu dans le bouillonnement de l'inspiration. » Voilà. C'est ça. Fallait élaguer. Ou alors écrire 528 pages sur l'art épistolaire au XVIII °. Mais quand on veut célébrer Grigori Perelman, mathématicien russe qui démontra en 39 pages seulement la conjecture de Poincaré, on la fait courte.
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