D’habitude, sa mère interrompait constamment ses pensées et il lui arrivait de se dire que cela ne valait pas la peine d’essayer de réfléchir. Elle aurait pu se contenter d’être en vie, comme Elvy. La seule différence était sans doute que Bonita avait des rêves, même s’ils étaient enfouis si profondément que jamais elle n’aurait cru possible de les faire remonter à la surface pour les réaliser. Sa mère avait passé la majeure partie de la journée à dormir.
Quand le médecin l’en avait avertie, Bonita avait eu l’impression de se trouver au bord d’un précipice, sans aucune rambarde pour l’empêcher de tomber, ni repère pour trouver des appuis fermes. C’est toute sa vie qui lui avait semblé tanguer.
Elle avait beaucoup de mal à comprendre que sa mère soit parfois tout à fait normale et qu’elle se souvienne d’événements remontant à un lointain passé alors qu’à d’autres moments, elle paraissait plongée dans un état de confusion extrême et tenait des propos sans queue ni tête.
Pouvoir quitter la maison quelques instants constituait un soulagement, même si elle avait honte d’éprouver un tel sentiment.
Bonita s’était montrée réticente quand son amie avait insisté pour lui mettre du rouge à lèvres et de l’ombre à paupière bleue. En guise de touche finale, Doris l’avait copieusement aspergée de Chanel N°5. Certes, ce parfum sentait bon, mais Bonita avait éprouvé une légère gêne. Elle s’était d’ailleurs trouvée si belle qu’elle avait eu du mal à cesser de s’admirer dans le miroir.