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Critique de Quarto


Drôlement noir

Je me souviens ne pas avoir été tellement emballé autrefois par Les Contes de la folie ordinaire. Pour quelles raisons ? Je ne m'en souviens pas. Toujours est-il que j'ai laissé tombé Bukowski, rangé dans les rayons de ma mémoire quelque part entre John Fante et Hubert Selby JR.

Ce doit être encore un coup de Babelio, un commentaire, une recension qui l'a remis sur ma route.
Tant mieux.

Premier roman inspiré de ses expériences de postier et de sa vie de pochtron, Charles Bukowski se dédouble en Henry Chinanski, le narrateur, qui porte pendant onze ans la croix de son boulot.

La poste, l'US Postal, tel un enfer, une géhenne à laquelle le personnage paraît condamné, par facilité, par habitude, jamais viré malgré les rapports des surveillants. Condamné à ce boulot parce que la Poste est un exemple, une métaphore du monde du travail et du monde social en général.

« Onze ans de foutus, tués d'une balle dans la tête. J'avais vu le job bouffer les mecs. On aurait dit qu'ils fondaient. […] Ils fondaient ou alors ils prenaient du lard et devenaient énormes, surtout le cul et le ventre. […] Je dormais toute la journée pour pouvoir aller au boulot. le week-end fallait que je boive pour oublier tout ça. »

En réalité, Henry n'a pas besoin de la Poste pour boire. Il a besoin de boire pour vivre. Dans ce monde insupportable, il a deux réconforts, tous deux comme des formes d'abrutissement, de régression foetale : la bibine et la baise, rarement par plaisir, plutôt pour tuer le temps et dormir d'un sommeil sans rêve.

« Désolé, baby, j'ai fait. Après ça j'ai roulé sur le côté. Et j'ai roupillé. »

Le rapprochement physique, régressif, est cependant un refuge dans une sorte de tendresse primitive. « Je me suis collé tout contre sa croupe chaude et je me suis endormi en quarante-cinq secondes. »
Henry Chinanski n'a rien d'une brute, c'est plutôt un tendre, un généreux dans ce contexte où on ne peut rien espérer de mieux d'une relation interpersonnelle, la rencontre avec autrui étant impossible.

« Il a une grosse bite, a dit Fay. Il était ici l'autre soir et il m'a demandé : "Ça te plairait de te faire tringler par une grosse bite ?" et je lui ai dit : "J'aimerais mieux me faire tringler avec amour !"
- Ça a l'air d'être un homme du monde, je lui ai dit comme ça. »

Comme la vie, le roman n'a pas de sens, c'est une errance immobile, un effondrement, jusqu'à la porte ouverte par l'excipit qui, à défaut de sens, donne au moins une forme à la valeur du néant : « Le matin on était le matin et j'étais toujours vivant. Peut-être que je vais écrire un roman, j'ai pensé. Et c'est ce que j'ai fait. »

Il a bien fait, je trouve. C'est très facile à lire, plaisant — oserais-je dire. C'est cru, c'est dur, mais raconté avec finesse et humour, avec la distance, le détachement éprouvé devant l'absurde, l'absurdité de la bureaucratie postale comme de la succession des jours.
Et somme toute, la vie est tellement absurde qu'elle ne saurait être tout à fait désespérée.
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