L'homme qui est sorti de la cage d'escalier quelques minutes plus tard était aisément identifiable comme un flic issu d'une lignée de flics. Jeune mais sûr de lui. Peau pâle, cheveux roux, les taches de son d'un Irlandais de souche. Lorsqu'il s'est présenté, ça n'a fait que confirmer mon analyse. Il s'appelait Jimmy Boyle.
- Whaouh, c'est votre vrai nom ou le NYPD vous l'a offert en guise de promotion ?
Melissa jouait souvent le rôle de jury. Certes, elle était seule, mais les barmaids ont un talent inné pour se mettre dans la peau de l'homme de la rue. Melissa pouvait consulter à volonté quinze jurés fictifs qui se baladaient en permanence dans sa tête.
- Vous savez que cette ville est pleine de dingos riches à crever? j'ai une amie qui touche dix mille dollars pour faire le ménage en sous-vêtements. Pour ces pervers, c'est des billets de Monopoly.
- Tu sais ce qu'il y a d'ironique, là-dedans ? La première fois que j'ai vu Madeline sur le quai, avec cette espèce de paquet à côté d'elle, j'ai imaginé qu'elle avait fui sa chambre d'hôtel juste avant son mariage, prête à monter dans le premier train qui partirait de Penn Station. Et voilà : Penn Station. Un petit rappel de la raison pour laquelle je ne regarde pas les femmes dans la rue, ne me pose pas de questions pour elles et ne cherche pas à imaginer leur vie. Quelque chose finit toujours par me rappeler subitement que la normalité n'est plus moi. Dès l'instant où j'ai pensé à Penn Station, j'aurais dû m'enfuir sans me retourner.
Comme son prénom et son nom le suggéraient, Einer était mi-suédois, mi-allemand, ce qui rendait ses cheveux roux duveteux encore plus caractéristiques. Si sa coiffure avait généralement quelque chose de clownesque, l’humidité du jour lui donnait l’apparence d’un gigantesque coton-tige couleur carotte abandonné au fond d’une valise pendant trop longtemps.
Il a attrapé un casque téléphonique qui traînait non loin.
— Je suis sûre que vous savez, sergent, que, d’après les lois de l’État de New York, vous devez immédiatement informer Jack Harris qu’un avocat est venu le représenter.
Il a fait danser le casque dans sa main.
— D’après vous, qui j’allais appeler ? S.O.S. Fantômes ?
Ou alors tout ça n’est que du blabla pseudo-psychologique creux parce que j’ai tendance à mettre le bagage des gens sur le dos de leurs parents.
Ce n’est pas ma faute si je suis tombée amoureuse. Ce mensonge est tout-puissant
Or son avenir ressemblait à la fin du mien. Ce mot et cette bague avaient tout changé. Le naturel paraissait maintenant ennuyeux. Le sécurisant me semblait étouffant.
Le problème de votre génération, a-t-il rétorqué, c’est qu’on vous laisse trop de liberté. Vous avez le loisir de n’entendre que ce que vous voulez entendre. Or il est bon pour le cerveau de confronter des points de vue opposés. Les jurés qui décident du destin de nos clients lisent le Post, quand ils font l’effort de lire des journaux. On doit comprendre leur vision du monde.