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Critique de lafilledepassage


Voici un témoignage de très grande valeur puisque William Burroughs nous fait le récit de sa propre expérience de la drogue. À travers ce témoignage tout à fait honnête, il relate comment il a « appris l'équation de la came. La came n'est pas, comme l'alcool ou l'herbe, un moyen de jouir davantage de la vie. La came n'est pas un plaisir. C'est un mode de vie. ». La drogue prend assez vite une place immense dans sa vie et il en devient complétement obnubilé, jusqu'à considérer que « c'est un fantôme diurne dans une rue encombrée ». Après un énième sevrage et une énième rechute, il écrit d'ailleurs « j'étais donc repris par la came » et non « j'ai donc repris de la came », révélant ainsi l'emprise totale de la drogue sur sa vie et sur son libre-arbitre.

La parution de ce livre était un véritable exploit dans la société américaine puritaine et bien-pensante d'après-guerre en plein crise d'identité et au bord de la dépression nerveuse. C'est Allen Ginsberg, chef de file de la Beat Generation, qui cherchera un éditeur pour le manuscrit et c'est Carl Solomon qui, dans un moment de bravoure, le publiera … A l'époque, le simple fait de parler d'herbe dans l'autobus ou dans le métro était passible d'arrestation ! L'Amérique est alors dans un délire complétement schizophrène et ira jusqu'à engager des drogués dans la police pour pénétrer le milieu et arrêter ainsi les consommateurs et les petits dealers. On nage en pleine délire.

Burroughs décrit son désoeuvrement et sa lente déchéance physique et psychologique. Au passage, il évoque de façon métaphorique l'accident mortel de sa femme. Tous les milieux socio-professionnels sont touchés aux Etats-Unis, cela va des chômeurs paumés et des artistes jusqu'aux matelots, aux barmen, aux livreurs, aux croupiers et aux petits salariés. Les uns sont pauvres et dans la dèche, les autres sont nantis et proviennent de bonne famille, comme l'auteur.

Pas question ici de délire halluciné et déjanté mais plutôt de la petite vie banale et minable des drogués, ce qui fait de ce livre un excellent antidote contre la drogue, je pense. D'ailleurs, quand je m'en suis emparée je me suis demandée si c'était une bonne idée de le laisser trainer (oui je laisse trainer mes livres un peu partout, puisque je lis un peu partout…) dans une maison où vivent trois ados en quête d'identité et peut-être aussi de sensations fortes. Eh bien très vite j'ai pensé que si l'un de mes fils tombait dessus et en commençait la lecture cela ne pourrait lui faire de mal, en fait. Au contraire d'autres livres comme « l'herbe du diable et la petite fumée» de Castaneda qui présente les psychotropes sous un aspect beaucoup plus séduisant.

Alors bien sûr je reste avec cette question : pourquoi ce type, Burroughs, qui a « tout pour être heureux », intelligence, richesse, culture, se met-il à se droguer ? Pourquoi cette sensation de vide que rien ne peut combler ? Comment l'écriture et l'art ne suffisent-ils pas à lui donner un sens à sa vie, à l'épanouir, à le rendre heureux (moi je croyais naïvement qu'un écrivain publié ne pouvait être qu'un homme heureux) ?

Une piste de réponse se trouve peut-être dans cette déclaration de Pascal : « Tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer en repos, dans une chambre. » Malheur que certains oublieront dans la dope, dans l'alcool, dans un excès de travail ou de sexe. Ou dans une orgie de lecture !

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