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Critique de Eric75


Plus célèbre pour avoir créé le personnage de Tarzan, noble devenu singe, que pour avoir donné le jour à John Carter, Terrien devenu martien, Edgar Rice Burroughs est pourtant reconnu comme l'un des précurseurs de la SF grâce aux aventures de ce dernier. Il imagine dès 1911 les fondamentaux du genre planet opera mâtiné d'une pincée d'heroic fantasy en publiant La princesse de Mars, premier roman du Cycle de Mars, dont la rédaction se poursuivra jusqu'en 1964 aux États-Unis.
Rééditée chez Omnibus, l'intégrale du cycle de John Carter rassemble dix romans en deux tomes, dont le premier comporte les cinq premières aventures initialement publiées entre 1912 et 1922 : La Princesse de Mars ; le Dieux de Mars ; le Guerrier de Mars ; Thuvia, vierge de Mars et Échecs sur Mars. L'intrépide et bouillonnant John Carter apparaît dans les trois premiers romans.
De l'eau ayant coulé sous les ponts des canaux de Mars, depuis longtemps asséchés, ces romans sont-ils encore lisibles aujourd'hui, près d'un siècle après leur publication ? (seriez-vous en droit d'objecter). Il semblerait bien que oui ! (pourrai-je alors vous rétorquer, en vous invitant à poursuivre votre lecture).

Les aventures martiennes de John Carter n'offrent aucun répit. Sur Barsoom (c'est ainsi que les martiens nomment leur planète) ça court et ça ferraille dans tous les coins, il y a comme un parfum de cape et d'épée, d'épopée flamboyante, où les bagarres, les complots ourdis en coulisse, les amitiés viriles et les passions amoureuses surgissent au détour de chaque chapitre, où le héros, invincible, projeté dans un univers qui n'est pas le sien, surmonte avec courage et détermination tous les dangers jusqu'à parvenir à imposer sa supériorité et son leadership. Les natifs de Mars (qui sont tantôt verts, rouges, jaunes ou noirs, qui sont ovipares, possèdent des membres multiples et des yeux pédonculés, sauf, heureusement pour Carter, les martiens et les martiennes rouges qui sont parfaitement humanoïdes et dont les princesses sont d'une beauté à hurler) jouent le rôle du bon ou du mauvais sauvage, terme qui peut englober pour un ressortissant sudiste du XIXe siècle comme John Carter tout ce qui est extérieur à la civilisation américaine.

A partir de là, reconnaissons que le scénario ne s'encombre pas d'une thématique spécifiquement SF et encore moins hard science. On pourrait facilement transposer John Carter et les extraterrestres belliqueux de Barsoom en gentilhomme du XVIIe siècle confronté aux pirates des Caraïbes sillonnant les mers en quête d'hégémonie, ou en cowboy du far west perdu au milieu des indiens des plaines passant leur temps à s'exterminer dans des guerres fratricides. de ce point de vue, voilà une SF pauvre en contenu scientifique, qui a sans doute bien vieilli, mais qui résiste néanmoins aux assauts du temps grâce à son côté « vintage » délicieusement suranné. Je retiendrai trois thèmes pour illustrer cette absence de modernité, qui détermine paradoxalement l'intérêt du récit : la technologie, les critères de valeur associés au héros, la place faite aux femmes.

1. Trop de technologie tue la technologie. Les martiens disposent d'un armement futuriste, ce qui correspond, aux yeux de Rice Burroughs, au « fusil ». le fusil martien est fabriqué à partir d'un métal inconnu et d'un bois d'arbre inconnu, il envoie des « projectiles ». Bois, métal et projectiles : un explorateur du XIXe siècle ne sera donc pas dépaysé par ce type d'arme. Pour faire plus moderne, les balles sont en radium (découvert en 1898). Amateurs de lasers et autres rayons de la mort, passez votre chemin ! On ne trouvera pas non plus de vaisseau d'exploration interplanétaire (encore moins intergalactique, l'existence des galaxies étant avérée depuis les années 20). le phénomène – bien pratique – qui véhicule John Carter entre la Terre et Mars (par un dédoublement de son corps) reste de nature inconnue. Mais les martiens ne sont pour autant pas des manchots, ils savent tout sur les Terriens pour les avoir observés à distance depuis leur planète, on ne sait trop comment.

2. Que la Force soit avec lui. John Carter dispose d'atouts qui font sourire aujourd'hui. Il gagne l'admiration et l'estime des martiens verts par la force de ses poings et par sa brutalité (il n'hésite pas une seconde à tuer ses adversaires en combat singulier). Grâce à la faible gravité, qui le métamorphose en une sorte de super-héros, il peut d'un seul bond parcourir des distances impressionnantes, atteindre le sommet des édifices et franchir les fenêtres ouvertes haut placées. Les martiens sont télépathes, mais ce don, par chance, ne fonctionne pas avec lui (il n'est cependant pas détecté lorsqu'il doit se faire passer pour un martien). D'un tempérament bagarreur, notre héros fonce dans le tas plus souvent qu'à son tour et parvient généralement à ses fins par des démonstrations de force qui imposent le respect aux autochtones, il néglige la ruse et la réflexion, la méconnaissance des us et coutumes martiens le conduisant à beaucoup d'impairs, il est inutile de perdre son temps en vaine diplomatie.

3. Sois belle et tais-toi. La princesse Dejah Thoris, la promise de John Carter, est d'une beauté renversante. Cependant, elle n'a que peu de conversation et peu de pouvoir de décision. Elle n'est qu'un objet de désir ou un enjeu de pouvoir, qu'il faut soit capturer (pour obtenir une rançon, pour assouvir ses fantasmes, pour se venger en lui faisant subir un châtiment pire que la mort, etc.) soit défendre et protéger, à l'instar de John Carter qui, pressentant un danger en présence de Dejah Thoris, n'hésite pas à entraver ses mouvements et à l'expédier sous bonne garde dans son royaume d'Hélium pour mieux la protéger. Difficile pour elle dans ces conditions de participer à l'action. Elle ressemble finalement à ces héroïnes des vieux films en noir et blanc : évanescente, muette et battant des cils à la perfection.

Que l'on ne s'y trompe pas, malgré ses cent ans d'âge et sa patine, le Cycle de Mars reste une oeuvre majeure de la SF, parfaitement lisible, avant-gardiste pour l'époque, qui fait résonner longtemps après sa lecture le cliquetis des épées barsoomiennes, les grognements des thoats (montures martiennes) et des calots (sorte de chiens de garde) ou les soupirs énamourés des belles créatures à la peau cuivrée, une oeuvre dont les idées seront abondamment reprises par les auteurs de science fiction et de fantasy de l'âge d'or.

On notera également l'adaptation au cinéma du premier roman du cycle par les studios Disney en 2012, un bide dont je n'avais jamais entendu parler. Pour les curieux, la bande annonce du film figure désormais sur le site Babelio. Ce blockbuster au scénario indigent et aux effets spéciaux mille fois vus depuis Star Wars fait regretter la poésie des bouts de ficelle du cinéma de Méliès, un contemporain d'Edgar Rice Burroughs.
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