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Critique de Antyryia



Bon, à nous deux Michel.
Ok, j'avoue, tu m'as bien eu l'an passé avec Au soleil redouté.
Je ne vais pas nier n'avoir rien vu venir dans On la trouvait plutôt jolie.
Quant à Nymphéas noirs, il m'a totalement retourné le cerveau avec sa fin aussi imprévisible.
Mais forcément, si tes lecteurs se font avoir, c'est que tu es un vilain tricheur.
Tu nous manipules, tu nous mens par omission et faux-semblants, tu construis tes histoires de façon à nous dissimuler la vérité cachée derrière le brouillard que tu distilles.
Mais cette fois je suis prêt.
Tes pièges ne fonctionneront plus sur moi.
J'ai compris qu'il fallait contourner ma façon de lire tes histoires jusqu'à trouver le bon angle, et je ne tomberai plus dans le panneau comme un bleu.

Rien ne t'efface. Tel est le titre de ton nouvel attrape-nigauds.
Une histoire impossible dans laquelle tu nous emportes dès les premières pages, je dois bien te l'accorder.
Sacré mystère que cette mère qui emmène son fils Esteban ( Zia, Tao les cités d'or ) en juin 2010 à Saint-Jean-de-Luz dans le pays basque, à la frontière espagnole. Et qui se termine en drame le jour de son dixième anniversaire.
Ce jour-là Esteban disparaît.
Pas de témoins. Pas la moindre trace. Plus de mystères que de réponses. Pour les autorités la noyade est la thèse privilégiée, pour la maman, Maddi Libéri, seul l'enlèvement est envisageable.

Dix ans plus tard, elle a refait sa vie aux côtés de Gabriel, qui est prêt par amour à accéder à tous ses désirs, compréhensif, respectueux de son passé et de ses blessures. Son beau psychiatre l'a également aidé à aller de l'avant.
Mais ses plaies vont se rouvrir dix ans plus tard. Sur cette même plage, elle fait un pèlerinage dix ans après les funestes évènements... Et elle revoit son garçon.
Enfin non, c'est impossible, ça ne peut pas être Esteban. Il aurait vingt ans. Mais le petit bonhomme qui l'hypnotise sur la plage est pourtant le jumeau parfait de son enfant disparu, probablement décédé.
Au même âge.
Au même endroit.
Avec les mêmes vêtements.
"Esteban aurait vingt ans aujourd'hui. Donc ce simple constat clôt immédiatement tout autre débat, toute illusion sur une quelconque usurpation d'identité."
Devant l'inexplicable, même l'esprit cartésien de la doctoresse vacille.
Alors elle surveillera chaque jour Tom - le prénom de ce petit garçon qui ressemble trop à son fils pour que ce soit un hasard - ainsi que sa mère peu aimante, Amandine, à laquelle elle ne peut s'empêcher de se comparer. Elle découvrira qu'ils vivent à Murol, en Auvergne, et elle viendra s'y installer pour y devenir le nouveau médecin du village, et rester en contact avec celui qui pourrait être la réincarnation de son fils décédé dix ans plus tôt.

Non mais t'es sérieux Michel ? La réincarnation rien que ça ?
Bon ok, la ressemblance entre les deux garçons ne s'arrête pas au physique, ils ont les mêmes passions, les mêmes peurs, et bien d'autres détails troublants allongent cette liste qui ferait douter le plus rationnel des scientifiques. Alors une mère encore sous le choc d'avoir perdu son enfant dix ans plus tôt ne peut que croire qu'elle l'a enfin retrouvé.
Que par une inexplicable magie Tom et Esteban ne font qu'un. Que l'âme de son fils a trouvé un corps pour renaître.
Tu l'expliques très bien, cette croyance à laquelle se fient des milliards d'individus sur notre planète. Et s'il y a une vie après la mort, cette théorie est plus plausible à mon sens que de se retrouver au ciel parmi les anges ou en compagnie de soixante-douze vierges ( les "houris" ) destinées à l'unique plaisir sexuel masculin.
Mais si on se réincarne c'est dans un autre corps non ? Celui d'un cygne, d'un chat, d'un dauphin, d'une limace ou d'un cafard ? En fonction de notre karma. Pas dans celui d'un petit bébé qui nous ressemblera comme deux gouttes d'eau.

J'ai douté cependant, je te l'avoue.
Rien ne t'efface baigne dans une telle atmosphère de croyances, de sorcellerie, qu'on a parfois l'impression d'être dans des hameaux impies, bien loin du 21ème siècle. C'est le choc des cultures entre la vie moderne et l'époque où on se soignait par les plantes, où des légendes comme celle de la fontaine des âmes ou des villages engloutis n'appartenaient pas qu'au folklore. En plus, tu enrobes tes sortilèges de fantômes pour achever de nous faire évoluer dans ton univers surnaturel.

En plus pour mieux m'attendrir et me détourner de ma quête de vérité, tu m'as brossé les portraits de personnages aux émotions réelles, décrivant avec soin leurs qualités et leurs petits travers pour qu'on puisse les visualiser, tout comme tu t'attardes en parallèle sur tous les décors merveilleux de ce coin de France vallonné et lumineux.
Comment ne pas imaginer ce qu'une mère peut ressentir en découvrant le portrait craché de son fils disparu dix ans plus tard, sans que celui-ci n'ait pris une ride ? Comment ne pas se demander ce que pensent les gens en découvrant que le nouveau médecin de Murol tourne autour d'un jeune garçon ? ( "Elle regarde ce gosse comme si c'était le sien !" ); Tu as aussi voulu nous régaler avec ton duo d'enquêteurs improbable, une pile électrique et un mollasson : L'assistante sociale Savine et l'employé de mairie Nectaire. Deux des principaux personnages si singuliers qui participent à donner toute sa saveur au roman où on se méfie de chaque personnage secondaire. A l'instar d'Aster, la vieille sorcière. A noter que Saint Nectaire étant une des communes voisine de Murol, dans cette région où l'on semble apprécier le fromage.

Tu as aussi voulu me prendre par les sentiments en me parlant du lac Pavin à plusieurs reprises. Comme si tu savais qu'âgé d'un an et demi seulement, j'avais fait la fierté de mes parents en faisant tout le tour de ce profond cratère avec mes petits petons quasiment sans jamais demander à être pris à bras.
"Le lac Pavin forme un cercle d'un petit kilomètre de diamètre."
"Faire le tour du lac prend un peu plus d'une heure."
Cette histoire m'a été répétée tellement souvent qu'elle me fait d'ailleurs douter d'avoir accompli beaucoup d'autres actes aussi héroïques aux yeux de ma famille.

Mais non Michel, je t'avais prévenu d'entrée : Cette fois tu n'allais pas me la faire encore à l'envers. Tes fausses pistes, tes histoires paranormales, tes jumeaux maléfiques, non mais pour qui tu me prends ?
Tu peux rajouter des meurtres si ça te chante, ça ne m'empêchera pas de me focaliser sur le principal.
Je n'avais qu'à trouver une explication rationnelle et anticiper ton fameux twist en te faisant un beau doigt d'honneur.

Un même enfant sans qu'il n'y ait les dix années d'écart qui auraient du les séparer, il n'y a pas beaucoup de façons de l'expliquer.
J'ai d'abord pensé à un enlèvement extra-terrestre, et il aurait voyagé dans l'espace dix minutes en passant par un trou noir, et pour Maddi c'est dix ans qui se seraient écoulés. Mais ça ne collait pas.
Ensuite j'ai cru mettre le doigt sur la résolution du mystère : Esteban est mort mais quelqu'un du centre a récupéré son ADN pour pouvoir le cloner. Mais à la différence de Jarod dans le Caméléon, Esteban n'avait pas de capacités hors normes si on excepte son oreille musicale.
Et puis j'ai compris, comme une évidence. La secte des hommes grenouilles voyaient en lui le sauveur de l'humanité, celui qui éviterait la fin du monde en 2021 selon la prophétie de Nostraphallus. Mais ce sauveur ne pouvait pas avoir plus de onze ans au moment de réciter l'incantation qui éviterait des tsunamis aux quatre coins du globe. Aussi l'ont-ils emmené dans leur base aéronautique souterraine et l'ont ils mis dans un caisson de cryogénisation avant de le confier à Amandine, leur plus fervente adepte.
Alors qu'est ce que tu penses de ça Michel ? Je t'en bouche un coin hein ?

C'était pas ça.
Une nouvelle fois je n'ai rien vu venir, et je me suis retrouvé complètement à côté de la plaque. Et pas qu'une fois. Et pas qu'un peu.
J'ai relu certains passages après coup pour m'assurer que Michel n'avait pas essayé de m'embobiner mais même pas. C'est moi qui ne sait pas lire entre les lignes.

Un tout petit reproche concernant la vitesse à laquelle sont débitées les révélations finales, nombreuses et pas toujours primordiales, qui alourdissent un peu le final d'une intrigue magistrale.

Mais j'ai beau détester Monsieur Bussi parce qu'il a encore réussi son pari de me laisser comme un gros bêta aveugle, il faut bien avouer que Rien ne t'efface est un livre dans lequel on entre dès les premières pages, et que non seulement le suspense est maintenu de bout en bout, mais aussi que nos convictions sont ébranlées, que le travail sur les personnages, les lieux, la culture en font un livre d'autant plus riche.

Le rendez-vous est pris pour 2022.
Et cette fois-ci je te le promets Michel, tes petits tours de passe-passe ne fonctionneront plus sur moi !

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