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Critique de cedratier


« Septentrion » Louis Calaferte (Folio, 430 pages)
Un livre énervant, passionnant, révoltant, curieux, un livre à lire… Il y a de l'écriture de Céline sous la plume de Calaferte… Même écriture apparemment parlée, et parfois en argot, avec une richesse de vocabulaire, d'images, et un souffle impressionnants, un rythme souvent original. Et il y a aussi du Céline dans Calaferte, car le second est misogyne, et plus encore misanthrope, comme le premier est antisémite (je suis d'ailleurs surpris de n'avoir trouvé ce qualificatif de misogyne dans aucune des critiques babéliennes - est-ce parce qu'elles sont essentiellement masculines ?) On citerait sans fin des pages entières où le narrateur–auteur se repait de sa haine des femmes et des hommes, méprise tout un chacun et en a conscience, tout gorgé qu'il est de lui-même (ex P. 274/275, mais c'est partout pareil). D'où l'étrangeté de ce roman.
Il est beaucoup question d'écriture et de lecture, puisque c'est l'histoire d'un pauvre hère, pique assiette et déclassé qui se refuse à rester ouvrier, conscient qu'il se pense être d'avoir du talent… Et qui n'arrive jamais à écrire (contrairement à l'auteur lui-même, écrivain très prolifique, qui connait le triomphe avec sa première pièce de théâtre écrite et jouée alors qu'il a à peine 20 ans, ce qui modère quelque peu les qualificatifs d'autobiographique)... Les descriptions sont longues mais jamais lassantes (quelle imagination pour broder ainsi pendant des pages à partir de si peu) mais prenantes de sa déchéance, du tunnel sans fin dans lequel il s'enfonce pour ne ressortir que provisoirement, sans doute un peu mieux à la fin du bouquin. Des pages magnifiques sur la lecture, (P. 18/19…) et plus souvent encore sur l'écriture, le labeur, l'immense et insondable difficulté d'écrire (P. 56, 92/93…). Des pages dures et lucides sur le travail abrutissant. Des références fréquentes à Dieu. Et puis la femme (comme mystère et comme « viande », c'est lui qui le dit), et le sexe, partout. C'est vrai que : « Au commencement était le Sexe », ça c'est un incipit !!!
Et un art consommé de la digression tortueuse, mais jamais malvenue, il nous prend et on le laisse nous guider. Et parfois des phrases d'une demi-page, ou des successions de sujet-verbe-point, ou verbe-complément-virgule qui s'enchaînent sans fin et rythment le texte…
Et si la noirceur, la désespérance sont omniprésentes, l'humour est souvent là, quand par exemple il commence à décrire un personnage en lui empruntant des propos qu'il cite en cascade ininterrompue dans une phrase sans fin, de telle manière qu'on finit par entendre le brouhaha de la voix de celui qu'il décrit… et son inanité (P. 159-160…). Et l'on sent que le narrateur-auteur n'est pas souvent dupe de lui-même. Tout misanthrope qu'il soit.
Et puis beaucoup de jolies tournures :
"-Mort et enterré avec les sacrements de notre sainte mère la jacassante Eglise.
-Les gares dégorgent. Alerte au travail. L'usure commence.
-Un bouquin n'est jamais qu'une suite de déceptions magnifiées."
C'est donc une très belle découverte littéraire, sans commune mesure avec le décevant « la mécanique des femmes ».
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