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Critique de Charybde2


Réaliste et magique, glaciale et attachante, poétique contre toutes attentes, une fable policière hautement signifiante à propos d'un crime irrésolu il y a trente-cinq ans.

Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2021/12/26/note-de-lecture-la-riviere-draguee-arno-calleja/

En juin 1985 à Taipei, capitale de la république de Taiwan, le cadavre d'une fillette est découvert au bord d'une rivière, par un promeneur. Baptisée « la petite inconnue de la rivière », elle suscite une vaste enquête policière qui, trente ans plus tard, n'aura toujours pas pu aboutir, engendrant au fil des années un impressionnant corpus de rumeurs, de fausses pistes, de suppositions sensées ou absurdes, voire de véritables légendes avec leur dose d'ingrédients fantastiques, surnaturels ou science-fictifs. En résidence à Taipei il y a quelques années, Arno Calleja, à qui l'on doit des interventions aussi décisives et diverses que « La performance » (2012), « Tu ouvres les yeux tu vois le titre » (2018), « Un titre simple » (2019) ou encore « La mesure de la joie en centimètres » (2020), nous propose en octobre 2021 chez Vanloo le texte de cette enquête poétique en prose onirique et obsessionnelle, qui a déjà fait l'objet d'une mise en scène en 2018 par Franck Dimech.

Pour répondre au voeu initial de l'animateur de la compagnie théâtrale Ajmer, passerelle s'il en est entre l'Asie et l'Europe, qui souhaitait qu'on lui fasse ressentir, à lui d'abord et au public ensuite, l'ombre portée de ce crime trentenaire sur la jeunesse taïwanaise, le Marseillais Arno Calleja, performeur sonore dans l'âme au moins autant qu'écrivain et poète, s'est à nouveau surpassé. Mobilisant en un savant désordre apparent les saccades de pensées et de sensations qui hantent, cruellement bien entendu, mais aussi presque joueusement dans certains cas, si longtemps après la macabre découverte, l'enquêteur (en obsessionnel nécessaire et convaincu), la femme à la pastèque (en témoin universel et quasiment météorologique), l'homme au sac plastique (en havre logique de soupçons qui ne le sont pas nécessairement), les quatre enfants (en colporteurs et examinateurs, réalistes et magiques, de possibles « n'importe quoi »), la petite inconnue de la rivière (par deux fois, avec une subtile variation de contenu et de tempo), et la rivière elle-même (qui aurait pu avoir tant à dire, désormais, après s'être sentie aussi impuissante, jadis), une fable policière aux redoutables résonances psycho-langagières prend forme sous nos yeux. Et cette fable résonne magnifiquement et cruellement, en à peine plus de 50 pages, avec l'omniprésence des storytellings contemporains, à tout propos, avec les obsessions croisées des uns et des autres, avec le sentiment d'inanité qui traverse les êtres justement effrayés d'une certaine dé-marche du monde, et avec l'ultra-moderne solitude qui semble devoir partout s'imposer. Sachant inventer les mots et les phrases entrecroisées qui mettent un sens possible sur l'impalpable du malaise permanent, Arno Calleja nous offre une sublime et paradoxalement réjouissante métaphore d'un présent cruel éternellement reconduit.
Lien : https://charybde2.wordpress...
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