Il était une rivière

"-Pourquoi est-ce que tu te préoccupes tant de ce qui est normal ?... Putain, c'est déjà assez difficile de décider comment vivre... sans s'inquiéter de ce qui normal. Garde ta foutue normalité pour toi."

Elle découvrit que les nuits où elle se sentait en sécurité et confortable sous les étoiles, les nuits où elle avait mangé à sa faim, était celles où elle souffrait particulièrement de la solitude.

Margot ne ressentait pas moins la perte de son père, mais son corps avait désormais intégré l'habitude de la tristesse, de sorte que celle-ci l'environnait et l'accompagnait dans ses mouvements naturels. L'absence de sa mère était une chose différente : elle était un sujet d'émoi constant et un mystère.

Elle espérait que SMOKE se trompait quand il disait que les gens sont inconnaissables. Elle espérait parvenir un jour à faire craquer sa coquille de noix et à se connaître. Alors pourrait-elle enfin commencer à comprendre les autres.

Chacun ici bas est une noix impossible à ouvrir. C'est ce que j'ai appris petite. Et nous ne pouvons même pas nous ouvrir nous-mêmes

En cherchant le sommeil, elle sentit l'odeur de la fumée de cigarette, du souffre des allumettes, de la crème à raser Old Spice et des moisissures de la maison au bord de la rivière. Elle sentait la rivière dans tous les coins de la maison, dans chaque molécule d'air, dans tous les pores de son propre corps. Même le feu, même les flammes sentaient la rivière.

Nul n'attendait Margo. Margo s'était laissée devenir une personne coupée de tout lien avec les autres. Elle savait cependant, maigre consolation, qu'elle ne portait en elle ni la rage de Billy, ni la colère de son père. L'une comme l'autre l'auraient accablée plus que le poids de son sac.