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Citations sur Les impardonnables (24)

A quoi se réduit désormais l'examen de la condition de l'homme, si ce n'est à l'énumération, stoïque ou terrifiée, de ses pertes? Du silence à l'oxygène, du temps à l'équilibre mental, de l'eau à la pudeur, de la culture au règne des cieux. (...)
Mais la perte suprême, germe et circonférence de toutes les autres, est celle dont on ne prononce pas le nom. Il en va toujours ainsi. D'ailleurs, comment serait-il possible que des créatures, une fois mutilées de l'organe même du mystère - de l'oreille de l'âme, dirait Pasternak -, réalisent avoir perdu leur "propre destin"?
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Enfance, mystère des limites illimitées. Des frontières incertaines, magnifiées par la courte stature (à l'instar des paroles magiques, lentement épelées dans le livre de contes). C'était le tertre, velouté par un rai de soleil et inaccessible aux pas minuscules, au-delà duquel devait s'étendre le pré sans pareil, la clairière de Brocéliande. C'était la grille toujours close, le boqueteau dont on ne franchissait pas l'orée, le mail interminable. C'était, pendant la promenade au crépuscule, la ruine d'un château vertigineux et statique dont les virages de la route modifiaient sans fin le profil. C'était la grotte, précisément, le présage de la mousse, le cours d'eau caché. C'était "la fin du parc"*

* Ecrit en français dans le texte.
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Demander à un homme de ne jamais se distraire, de soustraire sans relâche sa capacité d’attention à l’équivoque de l’imagination, à la paresse de l’habitude et à l’hypnose des mœurs, c’est lui demander de réaliser sa forme majeure.
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C'est le mystère du caractère - dû aux humeurs, aux étoiles, à l'héritage atavique d'un autre conte - qui conserve ses traits jusqu'à la fin et n'accède à la métamorphose qu'à travers la répétition des mêmes erreurs et la souffrance endurée devant des défaites identiques.
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Les impardonnables

L'on voit parfois, dans un train ou une salle d'attente, un visage humain.Qu'y a-t-il en lui de différent? Là encore, il nous faudra parler par défaut, dire ce que ses traits ne trahissent point.Les yeux n'expriment ni méfiance ni requête. Ils ne sont ni distraits ni fureteurs.S'ils ne cèdent à aucun moment à l'absence, jamais ils ne se montrent tout à fait présents. De tels visages, que l'on découvre sans peine dans les tableaux des maîtres anciens, semblent de nos jours scellés par une invincible mélancolie. Pourtant, dans le train ou la salle d'attente, ils comblent l'âme de joie, d'un sentiment de vie plus intense, précisément. Aucun mot ne sera prononcé, mais le pur éclair du sourire est une fugue vers un lieu serein, vulnérable au point d'être inaccessible.

( p.116)
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J’ai posé le pied en ce point de la vie au-delà duquel on ne peut plus aller en gardant l’intention de revenir
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Un médecin

Pasternak avait reconnu en Tchekhov celui qui " inscrit l'homme dans un paysage de la même façon qu'un arbre ou un nuage" et qui saisit " la vie dans son sens le plus large, comme un unique et vaste tableau habité, avec ses symétries et ses dissymétries, ses proportions et ses disproportions ", sachant qu'elle est " le principe caché, le mystère de toute chose"

( p.242)
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Si parfois j’écris c’est parce que certaines choses ne veulent pas se séparer de moi et que je ne veux pas non plus me séparer d’elles. Les écrire est l’acte par lequel, à travers la plume et la main, et comme par osmose, elles pénètrent en moi pour toujours.
Dans la joie, nous nous mouvons au cœur d’un élément qui se situe tout entier hors du temps et du réel, mais dont la présence est on ne peut plus réelle.
Incandescents, nous traversons les murs.
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AVEC DES MAINS LÉGÈRES

Du mot italien sprezzatura, nous trouvons dans les dictionnaires plusieurs définitions différentes, très belles et très vagues, le noble substantif n’ayant pas de synonyme ou d’équivalent. « Franchise, aisance », suggère le Fanfani, « le contraire de l’affectation et de la préciosité, ce qui parfois aide la beauté. » Le Zingarelli, qui restitue au mot son blason intellectuel, y voit « une manière négligente de faire ou de dire », la sprezzatura étant « le propre d’un maître sûr de lui ». Le Petrocchi le classe, c’est une évidence, parmi les comportements typiques de l’aristocratie : « sprezzatura aristocratique », mais le restreint, non sans admiration, aux attitudes volontaires : « manière pleine de négligence magistrale ». Il en déduit un axiome discutable : « La sprezzatura est un art. » Parmi tous ces dictionnaires, merveilleux précis de clairvoyance linguistique, aucun n’oublie (comment serait-ce possible ?) la sprezzatura dans le costume qui, nous l’avons déjà dit, « aide parfois la beauté », et l’on comprend aisément que « la définition s’applique aussi aux créations de l’art et aux œuvres de l’esprit ».
...
La sprezzatura est en réalité une attitude morale qui, comme le mot, participe d’un contexte à peu près disparu dans le monde d’aujourd’hui, et qui risque de connaître une éclipse définitive. ...
Sur certains portraits — visages perdus, visages qui sous peu ne seront plus reconnaissables, et même reconnaissables seront impardonnables, tant ils s'avèrent désormais étrangers au contexte qui les entoure —, sur certains portraits encore cachés dans de vieilles demeures, on découvre cette qualité mystérieuse et légère qui, selon moi, n'est pas séparable du style.
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La sprezzatura est un rythme moral, c'est la musique d'une grâce intérieure : c'est le tempo, voudrais-je dire, dans lequel s'exprime la liberté parfaite d'un destin, inflexiblement mesurée pourtant par une ascèse cachée. Deux vers la renferment comme un écrin l'anneau : « D'un coeur léger, avec des mains légères / prendre la vie, laisser la vie...»
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Avant toute chose, la sprezzatura est en fait une façon alerte et aimable de ne pas entrer dans la violence et la bassesse d'autrui, c'est une acceptation impassible — pouvant à des yeux novices apparaître comme de la sécheresse — des situations auxquelles on ne peut rien changer et dont la sprezzatura décide paisiblement « qu'elles n'existent pas » — ce qui est une manière indéfinissable de les modifier. Toutefois, on ne saurait la transmettre ni la conserver durablement si elle ne se fonde pas, comme une entrée en religion, sur un détachement presque complet des biens de ce monde, une constante disposition à y renoncer quand on en possède, une indifférence évidente à l'égard de la mort, un profond respect pour ce qui est plus haut que soi et pour les formes impalpables, ardentes, ineffablement précieuses qui en sont ici-bas l'emblème. A commencer par la beauté, intérieure avant d'être visible, la noblesse d'âme qui en est la racine et l'humeur joyeuse.
...
Assimilerons-nous la sprezzatura à la géométrie délicate et féroce qui rend possible la danse de la libellule ? Ou au métronome inflexible, tierce présence toujours en mouvement dans les leçons de Frédéric Chopin, sur lequel se mesuraient impitoyablement les tendresses et les turbulences, les rubato, les tourments, l'extase elle-même et l'atroce pressentiment ? « Que la main gauche soit votre maître de chapelle et garde toujours la mesure », recommandait ce Racine du piano qui ne tolérait pas les glissando, les ralentis, les jeux de pédales, les effets de sonorité, les transports, les révolutions, les revendications. « Que rien ne transparaisse du fond de notre coeur, que rien ne soit connu de nous excepté le sourire. » Guermantes musical au plumage intact, au pied ailé, au regard « moins rêveur que spirituel et doux, dépourvu de toute amertume » — mais non d'ironie —, il appelait sèchement Scherzos les regards qu'il lui arrivait de jeter sur les ossuaires et les fosses. « Facilement, facilement », était sa maxime tandis que, promenant ses pas d'un mur à l'autre du salon, un mouchoir imprégné d'eau de Cologne sur les lèvres ou buvant à petites gorgées de l'eau de gomme pour pouvoir parler, il astreignait ses élèves à l'étude de ce traité d'ascèse, Le Clavecin bien tempéré.
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La sprezzatura, dans ses aspects les plus ancrés dans le siècle, est certainement un des traits de caractère de l'aventurier : un tempérament mercuriel, ambigu, impondérable, où persiste néanmoins la semence de la grâce.
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On pourrait dire que la grâce est la matière première de la Grâce et sans aucun doute les saints aventuriers, les brillants héros de légende qui, d’un cœur léger, avec des mains légères, jetèrent leur vie dans l’immuable étaient taillés dans cette étoffe. Joy, largüeza, proeza – les canons de la courtoisie provençale marquèrent profondément la jeunesse de François d’Assise. Ses compagnons se souvenaient de lui comme d’un homme « prodigue, faisant commerce avec autant de prudence que de munificence, altier et généreux, léger et d’une rare audace, supérieur en grandeur d’âme, riche dans ses dons ». Dans le songe de sa conversion, il vit uniquement des symboles chevaleresques. Converti, poursuivi par les foudres de son père et cité devant son évêque, il déploya une sprezzatura éblouissante en se déshabillant en plein évêché et en jetant à terre ses vêtements. (L’évêque s’accorda admirablement à ce geste en le couvrant de son manteau.)
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« D'un coeur léger, avec des mains légères...» Une vie pure est entièrement rythmée sur cette musique aérienne et véhémente, faite entièrement d'oubli et d'attention, de sourire et de piété. Il fut un temps où les rites, la liturgie constituaient le lieu géométrique et collectif de ces rythmes ineffables. Dans la plus simple des cérémonies d'autrefois, il y avait la grande allure de la vision : cette élégance de flamme vive, ce dialogue serré où tout se succède en tempo rubato et s'élève entre les puissances de l'âme et l'invisible, cette tombée de silences interstellaires — autre écriture du Dieu, plus pressante, qui ouvrait dans le bloc aveugle du monde mille points de fuite vers le royaume de la beauté surnaturelle : qui est le royaume des miroirs redressés et des chaînes brisées, où prendre et laisser sont une seule et même extase.
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Les cerfs enfermés dans un parc, offerts hagards et pleins de grâce aux regards distraits, ne se demandant pas pourquoi avons-nous perdu la grande forêt et notre liberté, mais : pourquoi ne nous chasse-t-on plus ?
Une jeune main parfois les caresse : "Le roi Arthur est mort, expliquent aux cerfs les enfants et avec lui les chasses et les tournois, les duels prodigieux et les saintes réjouissances. Jamais plus un cerf ne sera poursuivi par les douze Cavaliers, jamais plus on ne ceindra son encolure d'une couronne d'or. Jamais plus il n'arrêtera une meute en faisant se lever entre ses bois la croix du Sauveur, ni son corps ne sera nourriture à la cène du Saint Graal. Désormais, plus rien ne menace votre harde - et voilà, c'est de nos mains que vous recevrez votre pâture."
Les cerfs inclinent la tête. De leurs cornes massives, ils heurtent à coups légers les grilles de l'enclos. Mais la nuit une douce fièvre les prend, ils brament, ils s'appellent. Ils entendent, ou croient entendre, le cor d'Arthur. "Il n'est pas mort, se disent-ils, il reviendra. Et de nouveau notre vie sera suspendue à la pointe d'une flèche."
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