Si je conserve un tel souvenir de cette promenade matinale, c'est que, en dehors des trois après-midi de congé que j'aurai au cours des dix années passées auprès d'Alexandra David-Néel, c'est la seule, l'unique sortie que j'aie faite !
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Elle voyage de 20 à 30 kilomètres par jour, use guides et sherpas, les fouettant quand ils n'en peuvent plus ! Alexandra n'aime pas frapper ses hommes, mais pour que ces tibétains la respectent en tant que chef, elle doit se comporter selon leurs coutumes !
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Pourquoi ai-je accepté de vivre une telle aventure et souhaité réussir là où quantité d'autres avant moi avaient échoué au bout de quelques mois, voire parfois quelques jours ?
Marche comme ton cœur te mène et selon le regard de tes yeux
Tel un rocher battu par les flots de l'océan demeure inébranlable, ainsi doit être ton âme au milieu des épreuves de la vie.
Ces pauvres pieds qui ont parcouru en extrême-orient et ailleurs tant de kilomètres ne lui servent désormais presque plus à rien, sinon à la faire souffrir.
-Comprends-tu que lorsqu'on souffre comme je souffre, on a de bonnes raisons d'être désagréable?
-Bien sur madame, je comprends.
Madame, il y a à peine quelques jours que je suis auprès de vous et vous n'avez cessé de me commander et de me parler sur un ton que je ne supporterai pas une seconde de plus !
Souvenez-vous de ce que vous m'avez dit à Aix-en-Provence : "Savez-vous au moins faire des ouvrages de dame ? Car chez moi vous n'aurez absolument rien à faire"... De mon côté, je vous ai fait savoir immédiatement que je n'avais aucune instruction, aucune culture !
Si vous m'aviez dit que je devrais vous aider à faire des travaux d'orientalisme , je vous aurais répondu aussitôt : "Ne comptez pas sur moi ! Je n'en ai ni la capacité ni le goût ! La vue d'un stylo me fait horreur !" (...)
Et permettez-moi de vous dire qu'en dépit de tout cela, je suis d'ores et déjà attachée à votre personne... Mais je vous demande instamment de bien vouloir me parler sur un autre ton et me donner le temps d'assimiler quelques mots de sanskrit et de tibétain, si toutefois j'y parviens !
Maintenant, si tel est votre désir, je peux quitter immédiatement votre maison !
- Fuyez, Madame, fuyez !
- Monsieur, dois-je appeler un docteur ?
- Ma... mais co... comment se fait-il que Madame David-Néel... vous permette de toucher ce fourba magique ?
- C'est ça, un fourba magique ?? Et vous y croyez vous, à toutes ces balivernes ?
- Mais Madame, vous ne connaissez donc pas son histoire ? Ne savez-vous pas que du seul fait de le toucher, il peut vous arriver de grands malheurs ?
- Oh, vous savez, j'appartiens à une famille qui n'a jamais possédé, ni même vu un fourba magique et sur laquelle, pourtant, les catastrophes sont toujours tombées en avalanche... J'ai tellement l'habitude que, maintenant, le malheur, c'est quand il ne m'arrive rien...
Si tout à l'heure, j'ai cru ce monsieur en proie à une crise de délire, c'est lui qui, maintenant, est persuadé de se trouver en face d'une folle ! En tout cas, il n'est jamais revenu...
L'aube nouvelle est d'une incomparable beauté... Tout dort autour de moi, seuls les oiseaux qui nichent par centaines dans les arbres de la jungle commencent à voleter de-ci, de-là, leur gazouillis est charmant. Ces harmonieux concerts sont les seuls divertissements musicaux qui nous ont été offerts par la nature et pour notre plus grande joie !
Nous avons reçu aussi des hippies absolument remarquables ! Ce qu'Alexandra appréciait chez eux, c'est qu'ils étaient épris de grande culture... ce désir d’apprendre, de connaitre, faisait plaisir à voir. Ces dialogues-là, qui se prolongeaient souvent très tard dans la nuit, n'ont jamais fatigué Alexandra, Elle était heureuse de voir que, parmi cette jeunesse très critiquée, il existait tout de même certains sujets dignes d'intérêt !