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Critique de HundredDreams


Après avoir lu « L'observatoire », c'est avec beaucoup d'empressement que j'ai retrouvé l'univers d'Edward Carey dans le premier tome de la trilogie des Ferrailleurs.
On y retrouve tous les ingrédients que j'ai pu apprécier dans « L'observatoire », à commencer par une imagination débordante, un monde original et excentrique, une ambiance gothique empreinte de magie, une écriture sombre et mélancolique, une famille décadente et des personnages bien marqués.

L'auteur nous immerge dans un monde qui rappelle Londres à l'époque Victorienne mais également un monde futur déprimant dans lequel nous serions noyés dans nos propres déchets. Cet anachronisme m'a particulièrement plu.

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Le rôle principal a été donné aux objets usés, cassés, oubliés, abandonnés, perdus, jetés qui se sont accumulés au fil des décennies, formant des montagnes de déchets instables et dangereux qui affluent, débordent, se meuvent, ondulent, formant un océan d'immondices en mouvement.
La toile de fond que constitue Londres sous cette gigantesque décharge à perte de vue est saisissante. Elle nous amène à réfléchir aux conséquences environnementales de nos modes de consommation et de production et de notre culture du jetable.

Au milieu de ce paysage de grisaille formé de vagues de décombres, s'élève le château des Ferrayor, un ensemble architectural étrange et bizarre. Cette habitation labyrinthique est la demeure d'une famille qui s'est enrichie au fil des générations, grâce à la collecte des déchets de tout Londres : les Ferrailleurs.

« le répugnant et le malodorant, le brisé, le fêlé, le rouillé, l'usé, l'endommagé, le puant, le laid, le toxique et l'inutile, nous les aimions tous, avec quel amour nous les aimions ! Il n'est pas de plus grand amour que celui des Ferrayor pour les rebuts. Tout ce que nous possédons est grisâtre et terreux, poussiéreux et malodorant. Nous sommes les rois de la pourriture et de la moisissure. Je pense que nous les possédons, oui, vraiment. Nous sommes les nababs de la putréfaction. »

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On découvre ce monde peu à peu, avec ses règles, ses interdits, ses mystères, ses secrets.

La particularité de chaque membre de la famille des Ferrailleurs, nous l'apprenons dès les premières lignes du roman, est qu'ils sont liés, dès leur naissance, à un objet dont ils ne doivent absolument pas être séparés. J'ai eu très vite, envie d'en savoir plus sur cette famille étrange, sur leurs objets de naissance qui parlent.

L'immense maison des Ferrailleurs est tenue par une armée de domestiques. Privés de leur nom de famille, leur mémoire et leurs souvenirs s'effacent peu à peu. Ils font partie de la maison et sont presque assimilés à des objets.

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Le récit alterne deux voix narratives : celle de Clod, un jeune Ferrailleur, né avec le don rare d'entendre les voix des objets de naissance ; et celle de Lucy Pennant, une jeune orpheline du monde extérieur qui travaille au château depuis peu comme servante. L'arrivée de la jeune femme dans le château va coïncider avec la survenue d'étranges évènements qui vont bouleverser le monde de Clod.

Les deux histoires s'entrelacent, révélant dans une alternance, le monde du bas, celui des serviteurs, et le monde d'en haut, celui des maîtres. Leur rencontre va tout changer.

« Je t'ai donné une bonde, Clodius Ferrayor, ton objet de naissance, pour que, sang de mon sang, tu fasses un choix entre deux choses. Tu nous contiendras, telle une bonde, tu nous garderas en sécurité, tu seras une barrière entre nous et l'inquiétant trou d'évacuation. Ou bien, inversement, telle une bonde qu'on retire, tu nous laisseras tomber, nous écouler vers le rien, nous réduire à néant, nous noyer, nous épancher, dégoutter, ruisseler, tu nous détruiras tous ! »

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J'ai été immédiatement happée par le monde qu'a créé Edward Carey, à la fois étrange et si crédible. L'écriture de l'auteur imaginative, foisonnante, captivante, nous plonge dans les méandres de ce château mystérieux, impénétrable qui semble avoir une âme.

J'aime beaucoup les histoires de maisons. Sa construction est originale, faite d'un assemblage de maisons collectées, démantelées, insérées, assemblées, à l'architecture existante, créant un ensemble difforme et extravagant.

« Notre château était une mosaïque de cabanons et de palais. C'était une énorme bâtisse, faite de beaucoup d'autres. Mais la structure d'origine, presque impossible à retrouver maintenant, abritait notre famille depuis des siècles. »

En y regardant de plus près, la château des Ferrayor dégage aussi plusieurs impressions : elle apparaît comme un phare au milieu de l'océan, à la fois refuge et soumise aux éléments extérieurs. Elle semble également, tour à tour, majestueuse et imposante, mystérieuse et secrète, fragile et vulnérable par ses fondations qui se craquellent, sombre, dangereuse, ou funeste.

« La maison parlait ; elle chuchotait, jacassait, gazouillait, criait, chantait, jurait, craquait, crachait, gloussait, haletait, avertissait et grognait. Des voix jeunes, hautes et gaies, de vieilles voix, brisées et tremblantes, des voix d'hommes, de femmes, tant et tant de voix, et pas une seule qui vînt d'un être humain, mais des objets de la maison qui s'exprimaient, une tringle à rideaux par-ci, une cage à oiseaux par-là, un presse-papiers, une bouteille d'encre, une latte de plancher, … »

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Edward Carey révèle tout son talent d'illustrateur en incérant au début de chaque nouveau chapitre, des portraits saisissants des occupants du château avec leurs objets de naissance. Les illustrations donnent l'impression de traverser une galerie de portraits de famille.

Le monde étrange d'Edward Carey rappelle celui de Tim Burton, par son esprit décalé et gothique, par les illustrations en noir et blanc, les personnages dont l'aspect apparait un peu maladif.

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Pour conclure, ce roman est très différent de ce que j'ai pu lire jusqu'à présent.
Edward Carey a su créer un récit intrigant et prenant, une atmosphère fascinante et menaçante.
Ce premier tome m'a emportée dans le monde des Ferrailleurs et l'épilogue particulièrement bien réussi, totalement inattendu, ne peut qu'inciter le lecteur à poursuivre avec le second tome.

Si vous pouvez envisager une histoire surprenante où les objets ont des noms et chuchotent, où la mer est faite de détritus, alors ce beau roman ne peut que vous séduire.
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