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Critique de LaBiblidOnee


La littérature est un éternel apprentissage : des lettres, de la vie et, plus intéressant encore, des autres et de soi-même. Au gré de différents récits, nous repoussons nos limites jusqu'à lire des choses que nous n'aurions pas pensé aimer. Il y a quelques années par exemple, en lisant que ce roman « ne ressemblait à rien de connu, brouillant magiquement les frontières entre rêve et cauchemar, imagination et maladie, réalisme et fantastique », j'aurais fui. Mais le chemin littéraire parcouru m'a pourtant permis aujourd'hui de m'émerveiller à la lecture de cette curiosité, dont les analyses seront aussi riches et variées que les lecteurs !


Le scénario de départ fait penser à Gormenghast : On accueille un nouvel individu au sein d'un microcosme réglé par sa routine et ses usages, et on observe comment la bulle éclate. le premier personnage de cette histoire est celui du titre : l'Observatoire qui abrite tous les autres « caractères ». Ce bâtiment a subi les affres du temps au gré des époques qu'il a vécues : D'abord manoir du domaine de la famille Orme, entouré d'un parc immense à la campagne, il devient après rénovation par la génération suivante le Manoir de l'observatoire, tandis que la ville tentaculaire se rapproche de son parc ; puis, lorsque l'étau des tentacules urbaines s'est resserré jusqu'à faire de ce curieux bâtiment un simple rond point en périphérie, le désormais nommé l'Observatoire devient un immeuble aménagé en une vingtaine d'appartements par la génération suivante, la dernière. Elle est représentée par Francis Orme, un personnage très particulier dont le portrait ressemble à l'architecture de ce dôme d'observatoire où il vit.


Enfin vivre est bien grand mot quand il se contente d'exister, comme dans un musée, sans toucher à rien, ni influer sur l'histoire, enfermant ses mains dans des gants immaculés chaque seconde que Dieu fait pour n'être pas touché, ni rien tâcher, ne pas s'attacher, lui-même isolé dans son « immobilité intérieure » qui n'est rien d'autre que l'immobilité qu'il souhaite à l'extérieur, autour de lui, pour le restant de sa vie : Que les choses arrêtent de changer sans cesse, de le bousculer, de lui demander de s'adapter, que les gens arrêtent de mourir, les villes de s'étendre, les manoirs de disparaître avec les souvenirs de famille, et les gens de faire battre son coeur. Comme une pendule, le sien s'est arrêté il y a bien longtemps, et personne n'arrive à le remonter, tout comme il ne peut remonter le temps lui-même. On se rend compte que l'observatoire est l'exacte mise en abîme du développement de la ville sur les habitants : On vit très proches les uns des autres mais sans vouloir se connaître, car il est trop risqué de s'impliquer. Et l'on compense ce manque d'affection par l'entassement d'objets que l'on fétichise, souvent jusqu'à l'excès, jusqu'à être envahi d'une masse d'objets inutiles qui nous cachent, nous protègent, puis s'entassent et nous étouffent : déchets, collection, musée… A notre ère d'inflation de la photo numérique, on peut y voir un parallèle avec ces gens qui cherchent à fixer chaque instant par des photos qu'ils accumulent de façon compulsive. L'auteur insère d'ailleurs un tel personnage dans sa galerie. Francis quant à lui travaille dans un musée où tout est figé, immobile, où les gens ne changent jamais car ils sont en cire. Il possède au surplus une étrange collection qui nous intriguera durant de nombreuses pages… Tout l'enjeu de cette lecture sera de comprendre ce qu'elle représente : Que cache jalousement Francis dans la cave poussiéreuse de ce manoir en décrépitude ?



« Chéris l'objet et ignore la femme, cela t'épargnera la douleur que produit tout contact humain. Ainsi tu possèderas l'objet d'amour sans supporter les tracas et les tourments de l'amour. »


Peut-on et doit-on se protéger de tout sentiment pour ne jamais souffrir ? Que sommes-nous sans les objets : plus profonds ou plus rien ? Comment Francis en est arrivé là ? Se demande le lecteur, car on lui dépeint un portrait à la limite du réaliste, du cauchemar voire, n'ayons pas peur des mots, de l'absurde. Nous n'aurions jamais eu la réponse à cette question si une nouvelle locataire n'était pas arrivée, véritable révélateur thérapeutique qui, en chamboulant les habitudes de chacun, va provoquer les réactions inattendues de tous… Et faire resurgir des souvenirs, éclairant le présent à la lumière du passé. Par le récit croisé des souvenirs des principaux protagonistes, entrecoupés du récit du présent qui en découle, nous reconstituons cette drôle d'histoire à laquelle, finalement, nous trouverons un sens, le nôtre : Celui que chaque lecteur apporte à chacune de ses lectures grâce à son bagage personnel. Dans cet observatoire à double sens, dont la construction de l'architecte CAREY offre une parfaite mise en abîme, on scrute à la loupe ces événements et réactions humaines en chaine qui parfois nous enchainent. Jusqu'à ce que tout s'écroule, toutes nos belles constructions mentales protectrices, nos barrières artificielles, ces murs qui nous enserrent. Lieux, objets, gens : on va tous mourir un jour, alors en attendant, même si l'on ne peut pas tout contrôler, autant vivre, non ?


« Je suis vivante ! Je ne veux pas être morte. Ne restez pas assis immobiles comme cela. Bougez s'il vous plaît. Montrez-moi que vous êtes humains ! Pourquoi restez-vous assis sans rien faire ? »


Un page-turner étrange mais addictif !
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