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Critique de SophieChalandre


La harpe et l'ombre est un superbe récit testamentaire qui médite à la fois sur la nécessaire démythification de la découverte de l'Amérique par un Colomb homérique telle que racontée par le Vieux Monde, mais aussi sur la solitude et sur la mort.
Alejo Carpentier, grand prosateur d'une érudition inouïe, centre son récit sur le personnage controversé de Christophe Colomb, construisant sa narration comme un triptyque dont les volets latéraux relatent l'échec de la tentative de béatification du découvreur de l'Amérique, tandis que le panneau central, narré à la première personne est une longue confession de Colomb à l'heure de sa mort. Dans une écriture virtuose, merveilleusement baroque et un humour souvent carnavalesque, le récit se mue en sorte de Sainte Trinité historique avec un titre pour chacun des trois volets : la harpe, la main, l'ombre. le titre du livre devient alors binaire, ne conservant que la harpe et l'ombre pour mieux opposer le sacré au profane tandis que "la main" arbitre cette nouvelle contrehistoire proposée par Alejo Carpentier.

Dans cet ultime livre, l'auteur joue avec brio de l'intertextualité en invitant Paul Claudel, le journal de bord de Colomb, les Chroniques des Indes, et intègre un vaste corpus de références, d'auteurs souvent anachroniques et de citations pour déconstruire le discours historique officiel de la grande aventure Colombienne et présenter une vision critique de l'Amiral en découvrant des facettes moins glorieuses : l'auteur s'attache à dénoncer les appétits hégémoniques économiques, politiques et religieux du Vieux Monde à l'égard du Nouveau Monde, dans ce qui fut une entreprise de colonisation sous couvert d'une aventure civilisatrice et évangélisatrice de peuples dits barbares.
Au fond Colomb n'est qu'un prétexte pour Alejo Carpentier car il nous invite surtout à réfléchir sur la mémoire officielle des vainqueurs qui s'impose comme discours historique dominant à la mémoire oubliée des souffrances des vaincus.
L'auteur invite également à considérer la force du langage comme matériau de construction de la réalité notamment historique et la puissance de l'écriture pour déconstruire un discours et en proposer un nouveau. Si Carpentier, comme Colomb dans ses chroniques, participe à un jeu de rhétorique, montrant que tous deux peuvent être inventeurs du discours historique, le choix du langage dans ce livre, comme dans le reste de son oeuvre romanesque, est une langue singulière qui intrique baroque et réalisme magique, seule voie possible selon l'auteur pour rendre compte des réalités latino-américaines et de son Histoire.

Comme dans son livre le partage des eaux, Alejo Carpentier nous signifie une dernière fois que nous sommes contemporains de tous les temps de l'homme et que l'opposition entre civilisation et barbarie est vaine et aveuglante. Enfin, avec cette oeuvre testamentaire, Alejo Carpentier construit une ultime célébration historique d'une l'Amérique Latine par essence baroquisante.
Lien : https://tandisquemoiquatrenu..
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