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René L. F. Durand (Autre)
EAN : 9782070367955
373 pages
Gallimard (14/05/1976)
4.02/5   167 notes
Résumé :
Fuyant New York et la civilisation, un musicien gagne la forêt vierge du Venezuela. Ainsi commence une série d'aventures fabuleuses d'où s'élèvent, comme d'une symphonie, les grands thèmes de New York, de la Forêt, de l'Eau, de la Révolution...

Prix du meilleur livre étranger.
Après avoir lu « Le partage des eaux « , le mot « talent nous paraît impropre, notre enthousiasme ne s’en contente pas. Un grand poète s’impose à nous par son style et sa... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (17) Voir plus Ajouter une critique
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Voici un hymne à la vie sauvage. le style de l'auteur peut paraître un peu mou au départ mais rassurez-vous, il monte en puissance au cours de la lecture.

Le narrateur, un musicologue, s'ennuie ferme dans sa vie d'intellectuel New-yorkais. Les gens qu'il y rencontre sont superficiels. Par hasard on lui confie une mission pour le compte d'une université : aller chercher des instruments de musique primordiaux au fin fond de la forêt équatoriale.

Pas très chaud au départ, il se dit que finalement, le billet lui est payé et que cela fera une espèce de distraction dans sa vie. Il arrive au Venezuela (ce n'est pas dit textuellement mais on le devine très bien) pile au moment où un putsch est en cours dans la capitale qu'il est obligé de quitter manu militari avec sa maîtresse New-yorkaise qui s'appelle Mouche et parle le français.

Après avoir un temps songé à seulement passer des vacances et acheter chez le premier marchand de babioles les instruments qu'il était venu chercher, il décide finalement de se rendre en forêt pour essayer d'en trouver de vrais.

Peu à peu il se trouve envoûté par la nature et par les gens qu'il rencontre : nature très rude mais belle, gens très rude mais vrais. Son acolyte devient une véritable gène. Dans le même temps, il rencontre une indigène envers laquelle il ressent de plus en plus d'attirance. C'est bientôt la fin de son histoire avec la New-yorkaise et le début d'une autre avec l'indigène, de plus en plus profond dans la forêt, avec de rudes explorateurs et des amérindiens.

Je vous laisse ici sur la pirogue, si vous souhaitez découvrir la fin de l'histoire. Notez simplement que le titre original " Los Pasos Perdidos " est plus évocateur et plus subtil que le titre français. le traducteur a renoncé à le transcrire directement sous la forme " Les Pas perdus " car le terme " paso " signifie aussi " passage " et les deux sens sont importants (aspect temporel et aspect spatial).

La morale de l'histoire pourrait être " saisir l'instant avant qu'il ne disparaisse à jamais ", du moins c'est ma vision sortie des eaux, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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Après avoir terminé la lecture de ce livre, je n'ai tout d'abord pas su comment l'interpréter. J'ai d'abord pensé qu'il s'agissait d'un hymne à la vie sauvage, dans la mesure où le lecteur est, après un début un peu lent, plongé au coeur de la forêt amazonienne, avec sa sauvagerie mais aussi ses curiosités remarquables, puis les choses sont devenues progressivement plus claires dans mon esprit.

Le titre original de l'ouvrage est « Los pasos perdidos » ce qui signifie « les pas perdus », expression que j'interprète à la fois comme « la perte du passage » (l'auteur ne parviendra en effet pas, à bord de sa pirogue, à retrouver « la porte », c'est à dire le passage qui lui permettrait de rejoindre sa compagne, la belle Rosario) mais aussi comme « le temps perdu » (l'auteur, pétri de civilisation occidentale, se rend compte que, depuis des années, il vit en mode « décalé » par rapport à la réalité et au sublime qui lui sont offerts par la forêt primitive).

Dans un style fouillé, constellé de références littéraires, musicales et historiques, Alejo Carpentier, nous fait toucher du doigt ce qui est pour lui une bien triste évidence : la réalité de la vie occidentale est sale, décevante, terrifiante et incompréhensible, alors même qu'il existe à portée de mains un monde beau et vrai, primordial, sans artifices. Ce monde mythique ne nous est accessible qu'au prix d'épreuves : les chapitres du récit sont l'occasion de voir passer notre héros (l'auteur) d'événements en événements jusqu'à une ultime tentative de renaissance en un homme nouveau, pur et vrai. Mais cette tentative ne sera pas couronnée de succès et, tel Sisyphe, notre héros (l'auteur) devra recommencer depuis le début et redoubler d'efforts : mais ce sera peine perdue, et Alejo Carpentier nous montre que l'homme occidental est victime d'une forme supérieure d'aliénation.

Dans ce livre, le voyage n'est qu'un prétexte : les épreuves constituent une étape obligatoire dans ce processus de renaissance. La forêt amazonienne est la matrice originelle d'où la vie est issue : pour renaître, encore faut-il s'oublier au coeur de cet espace sauvage où le temps perd de sa linéarité (que sont le passé, le présent et le futur dans la moiteur et l'éternité de la forêt primitive ?) et gagne en épaisseur (l'air n'est-il pas chargé de poussières, d'insectes et d'odeurs ?). le personnage principal est anonyme : il n'est en effet nul besoin de donner un nom à cet homme qui est en recherche de la vérité, de la beauté et de lui-même, car derrière cet homme c'est en fait chacun d'entre nous qui se cache. La musique joue un rôle important dans ce livre : l'auteur, comme notre héros, est musicologue, et il resitue l'évolution musicale (de l'origine du son brut aux richesses de la musique contemporaine) dans son contexte et dans sa dimension universelle, s'agissant de traduire au final des émotions intemporelles : joie, peur, désir, mort … Or, s'agissant de provoquer des émotions, la forêt primitive n'est pas en reste ! Elle est même capable de toutes les prouesses, quitte à recourir à la magie : d'ailleurs, notre musicologue n'hésite pas à entreprendre la composition d'un thrène pour faire en sorte que ressuscite enfin l'homme primordial et qu'il soit comme Adam et Eve avant le pêché, au pays du réel merveilleux, au « pays de l'Immuable » comparable au Quatrième jour de la Genèse.

D'aucuns trouveront peut-être le style d'Alejo Carpentier un peu mou, mais, dans la chaleur et l'humidité constante de la forêt amazonienne, pouvait-il utiliser un style dur, incisif et rapide ? En guise de conclusion, voici un livre qui oppose la vie de l'homme urbain et la vie de l'homme véritable : la vie du premier est caractérisée par des artifices (la ville est un simulacre où chacun agit, comme Ruth, actrice, derrière un masque), la routine désespérante , la solitude, l'errance, la violence, la perte de sens (que d'autodafés au début du 20ème siècle) et l'emprisonnement, quand celle de l'homme véritable, nettoyé de ses oripeaux, est caractérisée par la pureté de la forêt primitive, un monde beau et vrai, primordial, sans artifices. Une utopie ? Certes. Mais ne nous faut-il pas rêver de temps en temps ?
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Fruit de ses excursions dans la grande savane vénézuélienne et champ d'expérimentation de son réel-merveilleux, ce roman d'Alejo Carpentier relate les aventures d'un musicologue qui fuit la grande ville déshumanisée et découvre un prometteur continent vierge et idéalisé, véritable voyage introspectif dans l'espace et le temps. le monde américain primitif y est magnifié pour les potentialités qu'il recèle.
L'écriture hautement érudite, le mystère du récit, les références mythologiques enlacent le lecteur pour mieux le déstabiliser et l'emmener dans une quête orphique. La langue narrative est incroyablement caribéenne, faite de dérives baroques et de distorsions, rythmée par la répétition de motifs telle une respiration.
Ce voyage aux confins de l'humanité, du temps et de la musique s'effectue par étape, chacune spatialisée, dont l'histoire, la géologie et la culture semblent cristallisées et dont la composition romanesque devient la métaphore d'un temps mythique. Ces étapes sont autant de caps existentiels que le voyageur franchit. Lui-même enchâssé dans un temps comme suspendu, il revient en lui-même sans échapper à l'échec, notamment sentimental, mais poursuit ses « pas perdus ».
Ce voyage qu'Alejo Carpentier nous invite à partager nous signifie que nous sommes contemporains de tous les temps de l'homme et que l'opposition entre civilisation et barbarie est vaine. Ce monde des « pas perdus – pasos perdidos » où le temps, l'espace, les valeurs, le progrès sont bousculés raconte un univers latino-américain résolument hybride, remettant en cause la solidité d'une modernité univoque, orpheline de ses origines.
Le partage des eaux a contribué à installer la notoriété internationale d'Alejo Carpentier. A très juste titre.
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Le partage des eaux d'Alejo Carpentier
Un homme revient dans une maison à colonnes blanches après plusieurs années. Sa femme est une actrice très occupée, lui fait un boulot qu'il trouve sans intérêt, elle part en tournée, il a deux mois devant lui suite au succès de son film, quand il rencontre fortuitement le responsable du musée organographique lui demandant où en sont ses recherches, il ne sait pas qu'il a tout abandonné depuis longtemps. Il lui propose un travail sur les instruments de musique indigènes. Il part avec Mouche sa maîtresse dans un pays indéterminé où la révolution explose le lendemain de leur arrivée. Ils entreprennent une odyssée à la lisière de forêts vierges à la recherche d'instruments de musique indigènes originaux alors qu'ils avaient envisagé de simplement profiter d'être payés pendant deux mois et ramener n'importe quels objets. Au son de la neuvième symphonie de Beethoven ils arrivent dans un lieu qui s'était développé sur le pétrole « vaste danse de flammes qui claquaient au vent ». Une auberge remplie de prostituées, Yannès, un homme chercheur de diamants, et dans un exotisme exubérant, Carpentier nous mène dans une danse folle et musicale en un délire d'une érudition étourdissante. La descente du fleuve continue laissant place à des villes fantomatiques. Mines abandonnées, pulsions sexuelles. Mouche malade du paludisme, il repart puis s'enfonce dans la forêt avec Rosario sa nouvelle amante. Yannes cherche toujours des diamants dans une humidité prégnante. Ruth pendant l' absence de son mari a prévenu la presse de sa disparition avec prime à qui le retrouverait.
Roman foisonnant par Alejo Carpentier, l'homme par lequel arriva le réalisme magique. On passe de New York au Venezuela dans une sorte de conte initiatique au fur et à mesure que le héros retrouve la nature vierge. On est au coeur du mythe de l'Amérique latine avec cette langue si particulière qui peut facilement rebuter. Mon livre préféré chez cet auteur.
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Le narrateur étouffe dans sa petite vie, entre un travail purement alimentaire, sa vie conjugale avec une comédienne qu'il ne fait que croiser, et sa maîtresse qu'il n'aime pas vraiment. Musicien de formation, il se voit proposer par son ancien maître, Conservateur du musée organographique une expédition en Amérique du Sud, afin de trouver des instruments primitifs, qui permettrait de vérifier une théorie musicologique sur l'origine de la musique. Sa maîtresse, Mouche le décide à accepter, dans le but de se faire payer le voyage à deux, la recherche des instruments ne figurant pas vraiment dans le projet du couple. Notre duo arrive dans une ville d'Amérique du Sud, une révolution intervient, pour la fuir ils se dirigent dans une plus petite bourgade. Chemin faisant, aussi grâce aux rencontres qu'il fait, le narrateur se décide à aller chercher pour de bon les fameux instruments, ce qui se révélera finalement pas trop difficile. Mais ce n'est pas là que prendra fin le périple du narrateur : il va aller dans une ville fondée tout récemment dans la jungle par des courageux explorateurs, un lieu qui n'existe sur aucune carte, quelque chose en train de se construire à partir de rien. Il a abandonné Mouche en chemin, et fait la rencontre de Rosario, amour bien différent de ceux qu'il a connu jusqu' à maintenant. Mais la civilisation qu'il a fuit se rappelle à lui. D'abord dans le désir de composer, qui revient dans le désert, et pour lequel il manque de papier. Ensuite, sous la forme d'un avion venu le chercher. Il revient à la civilisation, de façon temporaire pense-t-il. Mais le retour dans le paradis perdu est-il possible ?


Roman baroque, foisonnant, dans lequel les thèmes et les motifs s'entrecroisent, comme dans la cantate que veux composer le narrateur. Impossible de les citer tous. La vie dans une grande ville moderne s'oppose à la vie dans la jungle, où tout ce qui compte est ce qui permet de survivre d'une façon quasi physique, et le reste est superflu. Mais où s'arrête l'essentiel et où commence le superflu. Où finit la nature et où commence la culture. Où s'arrête la liberté et où commence la contrainte. le partage des eaux est le roman de la complexité des aspirations humaines, de leurs contradictions, de leur éternel inassouvissement. Un très beau voyage, dans l'espace et dans les méandres des âmes humaines.
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Citations et extraits (30) Voir plus Ajouter une citation
9 décembre
(...) Nous nous approchons et avançons lentement, à la recherche du signe qui marque l'entrée du cours d'eau. Le regard fixé sur les troncs, je cherche à la hauteur de la poitrine d'un homme qui aurait été debout sur l'eau, l'incision des trois V superposés verticalement (...). De temps en temps, la voix de Simon qui rame lentement m'interroge. Nous allons plus avant. Mais je mets tant d'attention à regarder, à ne pas cesser de regarder, à penser que je regarde, qu'au bout d'un moment mes yeux se fatiguent à voir passer constamment le même tronc. J'ai l'impression d'avoir vu sans me rendre compte ; je me demande si je n'ai pas été distrait pendant quelques secondes ; je donne l'ordre de revenir en arrière (...). Simon, toujours calme, suit mes indications sans mot dire. (...) Nous naviguons une demi-heure encore. Mais voici que surgit de la forêt un éperon de roche noire, de forme si découpée et singulière, que si nous étions arrivés jusqu'ici la dernière fois, je m'en souviendrais. Il est évident que l'entrée du cours d'eau est restée en arrière. (...) Quand nous avons commencé à naviguer, le soleil nous frappait en plein. Maintenant, ramant en sens inverse, nous sommes plongés dans une ombre qui allonge de plus en plus sur l'eau. Mon angoisse s'accroît à l'idée que la nuit va tomber avant d'avoir trouvé ce que je cherche et qu'il faudra revenir demain. (...) Simon se lève, prend la perche, et l'enfonce dans l'eau, cherchant à s'appuyer sur le fond pour faire revenir le canot en arrière. À ce moment, la seconde que met la perche à pénétrer dans la masse liquide, je comprends pourquoi nous n'avons pas trouvé le signe ni ne pourrons le trouver : la perche qui mesure environ trois mètres de long, n'atteint pas le fond, et mon compagnon doit couper les lianes à coup de machette. (...) Je me souviens que lors de notre passage ici avec l'Adelantado, les rames touchaient le fond à tout moment. Cela veut dire que le fleuve est toujours en crue et que la marque que nous cherchons est sous l'eau. Je fais part à Simon de ma découverte. Il me répond en riant qu'il le pensait bien mais qu'il ne m'avait rien dit "par respect" ; et puis il croyait que je tenais compte de la crue. Je lui demande, appréhendant la réponse et tout en faisant durer les mots, s'il croit que les eaux auront bientôt baissé suffisamment pour que nous puissions voir la marque comme je l'ai vue la dernière fois. "Jusqu'au mois d'avril ou de mai", me répondit-il (...).
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page 214 - Après-midi du Lundi 18 juin

[...] La pirogue s'approche toujours plus de cette rive impénétrable et revêche, que l'Adelantado a l'air d'examiner en détail, avec une attention soutenue. [...]. Assoupi par l'attente, par le roulis de la barque, je ferme les paupières. Je suis tout à coup éveillé par un cri de l'Adelantado : "Voilà la porte! ". Il y avait à deux mètres de notre embarcation un tronc semblable aux autres : ni plus large, ni plus squameux. Mais sur son écorce était gravé un signe semblable à trois V superposés verticalement, emboîtés l'un dans l'autre, en un dessin qui aurait pu se répéter à l'infini et dont l'eau renvoyait le multiple reflet. Près de cet arbre se dressait un corridor voûté, si bas et si étroit qu'il me parut impossible d'y introduire la pirogue. Elle s'engagea néanmoins dans ce tunnel si resserré que ses plats-bords raclèrent durement un enchevêtrement de racines. [...]. Il pleuvait, des branchages, une suie végétale intolérable, impalpable parfois, tel un plancton errant dans l'espace, aussi lourde à certains moments que des poignées de limaille qu'on eût jetées d'en haut. Et c'était une chute continuelle de filaments qui enflammaient la peau, de fruits pourris, de graines velues qui faisaient pleurer, de déchets, de poussières qui couvraient les visages de gale. Une poussée de la proue provoqua l'écroulement subit d'un nid de termites, qui s'épandit telle une avalanche de sable brun. [...]. Entre deux eaux ondulaient de grandes feuilles trouées, semblables à des masques de velours ocre, fausse apparence végétale de quelque animal camouflé. Il flottait des grappes de bulles sales, durcies par un vernis de pollen rougeâtre ... [...]
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La forêt vierge était le domaine du mensonge, du piège, du faux-semblant ; tout y était travesti, stratagème, jeu d’apparences, métamorphose. Domaine du lézard-concombre, de la châtaigne-hérisson, de la chrysalide-mille-pattes, de la larve à corps de carotte, du poisson-torpille, qui foudroyait du fond de la vase visqueuse. Lorsqu’on passait près des berges, la pénombre qui tombait de certaines voûtes végétales envoyait vers les pirogues des bouffées de fraîcheur. Mais il suffisait de s’arrêter quelques secondes pour que le soulagement que l’on ressentait se transformât en une insupportable démangeaison causée, eût-on dit, par des insectes. On avait l’impression qu’il y avait des fleurs partout ; mais les couleurs des fleurs étaient imitées presque toujours par des feuilles que l’on voyait sous des aspects divers de maturité ou de décrépitude. On avait l’impression qu’il y avait des fruits ; mais la rondeur, la maturité des fruits, étaient imités par des bulbes qui transpiraient, des velours puants, des vulves de plantes insectivores semblables à des pensées perlées de gouttes de sirop, des cactées tachetées qui dressaient à un empan du sol une tulipe en cire safranée. Et lorsqu’une orchidée apparaissait, tout en haut, au-dessus des bambous et des yopos, elle semblait aussi irréelle et inaccessible que l’edelweiss alpestre au bord du plus vertigineux abîme. Mais il y avait aussi les arbres qui n’étaient pas verts, qui jalonnaient les bords de massifs couleur amarante, s’incendiaient avec des reflets jaunes de buisson ardent. Le ciel lui-même mentait parfois quand, inversant sa hauteur sur le mercure des lagunes, il s’enfonçait dans les profondeurs insondables comme le firmament. Seuls les oiseaux étaient vrais, grâce à la claire identité de leur plumage. Les hérons ne trompaient pas, quand leur cou s’infléchissait en point d’interrogation ; ni quand, au cri du vigilant coq-héron, ils prenaient leur vol effrayé dans un frémissement de plumes blanches.
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Je demeurai silencieux un temps que la joie intérieure libéra de toute mesure. Quand je repris conscience de son écoulement, dans un geste de dormeur qui étire ses bras tout en ouvrant les yeux, j’eus l’impression que quelque chose en moi avait mûri et se manifestait sous la forme singulière d’un grand contrepoint de Palestrina qui résonnait dans ma tête avec la majesté de toutes ses voix.
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Ce qui m'étonnait le plus était l'infini mimétisme de la nature vierge. Ici rien ne répondait à son aspect ; il se créait un monde d'apparences qui cachait la réalité, qui remettait en question beaucoup de vérités. Les caïmans à l’affût dans les bas fonds de la forêt inondée, immobiles, la gueule prête, ressemblaient à des troncs pourris, recouverts d'anatifes ; les lianes avaient l'air de reptiles, les serpents de lianes, quand leur peaux n'avaient pas des nervures de bois précieux, des ocelles d'ailes de phalènes, des écailles d'ananas ou des anneaux de corail ; les plantes aquatiques formaient le tissus serré d'un tapis touffus, cachaient l'eau qui coulait en dessous, prenaient l'aspect d'une végétation de terre ferme ; les écorces tombées prenaient tout à coup une consistance de laurier en saumure ; les champignons étaient des coulées de cuivre, des saupoudrages de souffre, près de l'aspect trompeur d'un caméléon un peu trop branche, un peu trop lapis-lazuli, un peut trop plomb strié d'un jaune intense, lequel simulait à présent des éclaboussures de soleil tombées à travers des feuilles qui ne laissaient jamais passer le soleil tout entier. La forêt vierge était le domaine du mensonge, du piège, du faux semblant ; tout était travesti, stratagème, jeu d'apparences, métamorphoses. Domaine du lézard concombre, de la châtaigne hérisson, de la chrysalide mille-pattes, de la larve à corps de carotte, du poisson-torpille, qui foudroyait du fond de la vase visqueuse. pp 222 et 223

tel que copié pour "les fils de la pensée"
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