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Critique de karmax211


Il y a deux chemins qui mènent à une lecture compréhensible d'- Alice au pays des merveilles -, cette oeuvre littéraire que l'on dit inclassable de Lewis Carroll.

Le premier, qui fait consensus... parce qu'il fait l'impasse sur les sujets qui pourraient fâcher, c'est un " conte " de Charles Lutwidge Dodgson, alias Lewis Carroll, alors professeur de mathématiques au Christ Church College d'Oxford, raconté, écrit à huit mains pour et avec trois petites filles, les soeurs Liddell... et devenu cet incontournable de la littérature dite d'enfance... mais pour petits et grands.
Un conte fantastique donc, apparemment innocent, mettant en scène une fillette qui, assise sur un talus un jour d'été auprès de sa soeur qui dort, résiste au sommeil jusqu'au moment où elle voit passer devant elle un lapin blanc qui tire une montre de son gilet et marmonne : "- Mon Dieu ! Mon Dieu ! Je vais être en retard !"
Intriguée, Alice suit le lapin blanc avant que ce dernier ne disparaisse dans un grand terrier.
Ni une ni deux, Alice pénètre dans le terrier, marche dans une galerie, sorte de long tunnel... avant que le sol ne se dérobe sous ses pieds et qu'elle n'entame une chute vertigineuse au ralenti, une chute interminable, qui prend pourtant fin dans un atterrissage en douceur sur un tas de branches et de feuilles sèches.
Alice fait alors son entrée, si tant est qu'elle trouve la bonne clé, au pays des merveilles...
Je vous dirai quelques mots sur la suite, mais pas maintenant.
Une fillette dans un pays merveilleux, sous-entendu, loin de la rationalité barbante et prétendument cartésienne de celui des adultes, quoi de plus naturel !
Le merveilleux, l'impensable, l'irréel, le magique, l'envoûtant, l'ensorcelé, le fantastique sont les ingrédients du conte de fées et pourquoi celui d'Alice ferait-il exception ?
Il est original, d'un imaginaire riche en trouvailles, rebat les cartes ( j'espère que la Reine de Coeur ne m'entend pas et ne va pas réclamer ma tête...) des codes du genre dans lequel il a vocation à être, le dépoussière, le modernise... jusqu'à être célébré par les surréalistes, voyant en Carroll un écrivain subversif et révolutionnaire.
Alice a autant de légitimité littéraire que Pinocchio, Peter Pan, le Petit Prince et autres chefs-d'oeuvre universels, chefs-d'oeuvre dont la singularité consiste dans le fait qu'ils ont en quelque sorte échappé à la caractérisation du genre auquel ils semblaient appartenir pour être identifiés aujourd'hui à des mythes.
Lewis Carroll a donc écrit une histoire qui s'apparente au conte de fées : l'aventure d'une enfant soumise à des épreuves ou des obstacles qu'elle doit surmonter afin de trouver le chemin qui va lui permettre de " grandir ".
Identité et devenir sont apparemment les grands thèmes d'Alice au pays des merveilles, laquelle se questionne sur qui suis-je, suis-je vraiment, est petite ou grande " malgré elle "... avant de grandir naturellement et " d'envoyer balader " le jeu de cartes. Un conte que certains qualifient d'anti-conte...

Le second chemin, à mes yeux indispensable si l'on veut vraiment goûter à cette oeuvre, passe par la biographie de l'auteur et par la contextualisation de son ouvrage.
En effet, en dehors de la toxicomanie ( la longue chute " cotonneuse " en est une des nombreuses illustrations... ) de Carroll, qui joue un rôle moins souvent évoqué que ses penchants pervers pour celles qu'il appelait ses " amies-enfants " ; Alice Liddell, une des trois soeurs avec lesquelles il fait une promenade en barque ce 4 juillet 1862, qui est une jolie fillette âgée de huit ans et avec laquelle le " pédophile victorien " vit une histoire d'amour ( on peut voir Alice embrassant son maître sur une photographie... une de ces centaines de clichés, de petites filles avec lesquelles il entretenait une relation maladive et/ou pas platonique, qu'il photographiait dans des poses suggestives, voire nues ) lui demande de leur raconter une histoire. Et c'est pour elle qu'il va imaginer cette histoire, et c'est à sa demande qu'il la mettra par écrit, l'illustrera et qu'elle deviendra ce que l'on sait... générant une suite dans laquelle Alice s'endormant, fait un rêve dans lequel elle passe - de l'autre côté du miroir - ( titre du roman ) et vit de nouvelles aventures dans la campagne anglaise devenue un échiquier...
La genèse de l'oeuvre est la même dans le cas d'Alice que dans celle de Peter Pan. Sauf que pour J.M Barrie, les " commanditaires " ne furent pas les soeurs Liddell mais les fils Liewelyn Davies et l'inspirateur, Peter Liewelyn Davis.
Deux "amoureux " des enfants, deux enfants " indésireux " de sortir du monde de l'enfance.
Carroll écrira :
"Je donnerais bien volontiers toutes les richesses,
Fruits amers du déclin de la vie
Pour être à nouveau petit enfant
Durant une seule journée d'été..."
Difficile de ne pas prendre en compte et la toxicomanie et l'enfance toute victorienne de Carroll, un des onze enfants du Pasteur Dodgson ; Lewis était affligé comme six autres de ses frères et soeurs d'un bégaiement, bégaiement qui ne le quittait qu'en présence de ses " amies-enfants "
Sa mère qu'il vénérait, était une furie à la main leste... les flagellations fesses au vent en public étaient " main courante "... vous repensez à Sabina Spielrein et à Jung et vous comprenez comment un enfant peut transformer un châtiment corporel en expression d'une sexualité pervertie.
Dans le roman, il est facile, sans jouer les psychanalystes de passage, d'établir une corrélation évidente entre l'enfance violente subie par LC et Alice... dans le tableau qui met en scène la Duchesse, la cuisinière et le bébé. On hurle, on s'envoie des objets à la figure... jusqu'au bébé qu'on lance en l'air dans les bras d'Alice ; bébé qui n'est pas aimé et que l'on rabaisse au rang d'animal, le faisant ressembler à un cochon, ce qu'il finira par devenir...
Autre élément pour goûter au plaisir du livre de Carroll, c'est de savoir qu'il est intraduisible, truffé qu'il est de néologismes, de mots valise et de références à des expressions ( mot générique ) exclusivement anglaises... d'où le casse-tête des traducteurs.
Quelques exemples pour ne pas être trop long : le chat du Cheschire ( comté dans lequel a grandi LC ), qui existe vraiment et est " réputé " pour son sourire..., la " mock turtle soup " ( la fausse soupe de tortue ) qui a donné naissance au personnage de la " Tortue Fantaisie...peut-être est-elle autrement nommée dans d'autres traductions... ), le Chapelier et le Lièvre de Mars... tous ont des origines locales authentiquement significatives que Lewis a utilisées pour en faire des personnages.
J'ajoute un autre exemple, la Reine de Coeur et le Roi sont bien évidemment les figures parentales de LC.
Je crains d'être comme Alice en train de m'égarer.
Encore un mot sur le " nonsense ", l'absurde (" genre littéraire anglais dans lequel l'absurde, le paradoxe et la dérision naissent de jeux inventifs, voire extravagants, sur la langue ") auquel Carroll a recours, il est là pour susciter le rire et cela afin de ne pas pleurer face à l'absurdité du monde.
Dernier élément que l'on peut avoir à l'esprit, c'est " le syndrome d'Alice au pays des merveilles (d'après le roman écrit par Lewis Carroll), ou syndrome de Todd, décrit par le psychiatre britannique John Todd en 19551, lequel est un trouble neurologique qui modifie la perception de l'espace, du temps et de soi-même."
Il entraîne migraines, auras et phénomènes hallucinatoires.
LC souffrait de crises migraineuses pour lesquelles il avait consulté un grand spécialiste.

En conclusion, ce conte, anti-conte, écrit par un professeur trentenaire incapable d'avoir des relations avec des femmes, maladivement amoureux des fillettes, a été écrit pour séduire l'une d'entre elles, Alice Liddell âgée de huit ans.
L'homme est un génie ( il a écrit et publié des traités de mathématiques ), il va utiliser cette relation " amoureuse " pour revisiter le conte en l'adoptant tout en l'adaptant.
Alice a conscience de vivre un conte mais tout en le vivant, elle en profite pour s'en moquer. Elle y introduit des critiques : exemple la critique de la Duchesse qui veut systématiquement tout moraliser.
Il va néologiser, détourner les codes, recourir à des procédés nouveaux comme l'a fait le théâtre de l'absurde, en détournant le langage, et en faisant appel au nonsense.
Cela étant, tout dans Alice au pays des merveilles fait sens, tout est explicable et ce n'est pas pour rien que ce conte parti d'où j'ai fait déjà plusieurs fois mention est devenu un mythe. Une création qui a échappé à son créateur pour atteindre l'universel.

Lisez et relisez ce chef-d'oeuvre fou, écrit au second degré, magistral, inquiétant, envoûtant, intemporel.
"Si le monde n'a absolument aucun sens, qui nous empêche d'en inventer un ?" ( Lewis Carroll )
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