Aux heures sombres de la tyrannie

Elle tourna lentement la tête, et son regard croisa celui d’un parfait inconnu. De son œil bleu perçant, il la fixait intensément sans qu’elle comprenne pourquoi. Elle ne l’avait jamais vu par ici, elle en était certaine. Elle connaissait à présent chaque visage qui composait l’assemblée de la messe dominicale, et le sien lui était étranger. Elle reporta aussitôt son attention sur la conclusion du père Huguenot qui leur souhaitait à tous un très beau dimanche ainsi qu’une semaine clémente. Victoire tentait de se concentrer sur ces dernières paroles, mais son esprit était accaparé par la vision de cet inconnu. Pourquoi l’observait-il de la sorte ? Elle rougit de honte lorsqu’elle s’imagina qu’il se moquait de son attitude dévote. Ce ne pouvait être que cela. Qui s’intéresserait à elle autrement que pour en rire ?

Elle voulait qu’il sorte, qu’il l’a laisse pour toujours et ne revienne jamais. Elle ne voulait plus entendre le son de sa voix, ni sentir sa peau sur la sienne, ni respirer l’odeur acre de sa transpiration. Rien. Elle voulait l’oublier, mais c’était impossible. Le jour de ses noces, elle s’était damnée en jurant devant Dieu de l’aimer et le chérir jusqu’à sa mort. Elle aurait la vie entière pour regretter cette promesse.

Victoire et Elisabeth, main dans la main, traversaient les champs de lavande à toute allure, abandonnant leurs rires incontrôlables dans leur sillage. Elles contournèrent les oliviers séculaires aux troncs dansants dont les feuilles argentées brillaient au soleil. Les tournesols, leur cœur offert à Phébus, ployaient au gré de la brise dans un spectacle d'une douceur merveilleuse. Tout était idyllique.