Sidrus lui jeta un regard cinglant, comme pour le faire taire à jamais : de l'alun pour la langue. Cet instant d'astringence s'éternisa.
On lui avait escroqué amour et argent. Il ne commettrait jamais plus cette erreur. Il attribua sa faiblesse à sa santé fragile et aux conviction puériles que les mères inculquent à tous les hommes : Celle que trouver une épouse convenable et créer un foyer sont les fins inexorables et inexpugnables de la maturité. Lui-même ne s'était jamais vraiment senti attiré par cette ambition, juste par son effet secondaire : la respectabilité.
(...) il existait toujours un vide, un creux qui ne se remplirait jamais, chez ceux qui disposent de tout en abondance.
Elle savourait sa solitude inattendue, le silence de cette maison libérée pour la première fois des postures et des hâbleries masculines, de ces bruits incessants que font les hommes pour se convaincre et convaincre les autres de la nécessité de leur présence ou du fait qu'ils s'activent.
Son feuillage chamarré, tout comme les grands arbres qui respiraient son air riche, étaient une manne pour les hommes, mais pouvaient aussi dévorer un millier de leurs petites vies en une micro-seconde de sa chronologie insondable et ininterrompue. Si vaste était son étendue qu'elle imposait ses exigences au temps, divisant le soleil torride en plusieurs zones étrangères à toute calibration normale: le voyageur qui l'aurait traversée à pied sur toute sa largeur aurait dû faire halte au centre, puis attendre au moins une semaine pour que son âme se mette au diapason. Et si dense était son souffle qu'il influençait le climat alentour.
Cette différence entre passé et présent était comparable au gouffre qu'il y avait entre entendre les hirondelles et les voir.
Il savait d'instinct que la mémoire et l'imagination se partagent les mêmes quartiers fantômes du cerveau, qu'elles sont comme des empreintes de pas dans la neige, des impressions dans du sable mou. En temps normal, les souvenirs pesaient plus lourd, mais pas ici, où la forêt les balayait en lissant tous les contours, en leur otant leur signification vitale. Ici, il emploierait son génie à graver des fondations durables, qui chasseraient le vent des érosions insidieuses soufflant tout autour de lui. À force de rêver l'impossible, il retrou- verait le chemin de la vie. Il se cramponna plus fort à l'homme et à la chaîne, sur le train qui filait vers l'aube en tonnant. Les chapitres s'effeuillaient au fil moite des kilomètres.
Charlotte avait un visage qui aurait mérité qu’on l’aime. Son regard intense exprimait toute sa sensibilité et sa compassion. La souffrance était ce qui teintait ses yeux – souffrance non pas intime, mais envers les personnes qui lui étaient proches et qui, à force de se torturer et se laisser aller, se créaient une existence de tristesse permanente. La force de Charlotte était sa tranquillité. Pas son silence, mais son calme. Elle avait la beauté de celles qui écoutent, la solidité de celles qui donnent. Plus que de la compréhension, c’était du savoir qui habitait les braises de son regard. Elle voyait et ressentait tout, prodiguait plus d’amour qu’elle n’en recevait et plus que ce pour quoi on la payait.
Les nuages plombés sont des mains carapaçonnées qui retiennent un soleil faible et flasque. L'obscurité énorme, carrée, s'éternise dans les hautes branches
J'ai l'impression que chaque pas me fait grimper hors du passé, me soulève de la gravité de l'attente. A compter d'aujourd'hui, les souvenirs ne couleront plus que vers l'avant. Ils guetteront mon arrivée comme dans les songes, où ils fournissent continuité et élan.