Malgré la maigre épaisseur des murs, mon petit appartement m'offrait une forme de protection contre mes cinglés de voisins. S'aventurer dans les parties communes, en revanche, s'apparentait à une mission en terrain hostile, ou à un épisode de Koh-Lanta, dans lequel je serais seul face à la tribu des dégénérés réunifiés.
Tante Agatha était une sorte de MacGyver de la vie. Jamais un problème sans une solution.
Monsieur Edgard, à mon âge, la folie c'est tout ce qu'il reste !
Je pense que les gens n’envahissent que l’espace que nous leur autorisons
Alors c'était cela vieillir? Redevenir un enfant, s'amuser et oser crier, rire, sauter sans ce soucier des regards? Serait-ce comme retrouver un ami, perdu de vue depuis longtemps, et s'apercevoir en discutant que la complicité d'antan est toujours la même? Considérée sous cet angle la vieillesse paraissait séduisante.
Avant de publier un livre, la plupart des auteurs en ont écrit plusieurs, que personne n'a lus ou dont personne n'a voulu ! Si vous saviez le nombre de textes et de brouillons qui dorment dans mon ordinateur !
Pourtant, lorsque je n'écris pas, j'écris. Chaque tableau admiré, chaque arbre croisé, chaque personnage rencontré au gré d'une lecture, chaque conversation épiée à la volée dans un bus ou une file d'attente, le rire d'un enfant, le regard affole d'une personne âgée, l'exaspération d'une caissière, ne sert qu'à nourrir les futures phrases que j'écrirai.
Aux yeux du monde, un écrivain, lorsqu'il n'a pas le nez collé à son ordinateur ou son carnet, glande. C'est un vacancier qui ne s'assume pas. Une feignasse.
Toutes les histoires ne grandissent pas sur papier. Certaines sont faites pour être dites, pour être claironnées dans les couloirs d'une résidence, sur les bancs d'un parc, pour être détournées, transformées, au gré de la fantaisie d'une bande de vieux drilles se rêvant détectives.
Les seuls mourants que j'avais côtoyés vivaient dans mes livres. Je n'avais perdu personne, vu souffrir personne, et, si la littérature possède bien des pouvoirs, si elle nous ouvre des portes vers des mondes qui nous sont étrangers, elle ne nous prépare pas à cette peur viscérale de voir disparaître tout ce qui fait le caractère unique d'une personne qui nous est chère.