Enfin, ils sont à l’intérieur du Berghain. Ils déposent leurs vestes et leurs sacs au vestiaire. Opale a souvent l’impression d’y déposer son âme aussi. Elle la récupérera en sortant, avec le reste.
A Berlin, on est dark. Dark chic. Dark trash. Plus encore que les goths. Bien plus que ne pourrait le rêver un goth. Dark à en chier des chauve-souris.
– C’est l’endroit que j’ai toujours cherché pour m’éclater avant l’Apocalypse. Comme si chaque jour était le dernier. Les continents et les animaux brûleront, les pays entreront en guerre, mais Berlin continuera à danser et la techno à résonner par-dessus les cris et le sang.
A Berlin, on privilégie la futilité, on bannit la gravité, les problèmes, et si on se prend au sérieux, on aime rire de tout. Pas de place pour la véritable dépression, l'autodestruction doit être gérée avec légèreté. Et surtout ne pas rejaillir sur l'entourage, perturber sa béatitude et s'opposer à l'hédonisme ambiant.
Les sons deviennent palpables autour de Goldie et de la main elle en trace les contours, tandis que, campée sur ses deux jambes, bassin en avant, elle fait passer son poids d’une pointe de pied à l’autre, non plus guidée par son cerveau mais par la musique. Son corps fait à présent partie d’un tout, partie du club, partie du son. Les variations de lumière noire activent la drogue insidieusement, comme programmées pour. Elle flotte dans une mer de brouillard, plus grand-chose n’existe à part elle, la techno, et Dorian.
Avec l’arrivée en masse de la kétamine, les pieds se sont solidement vissés au dancefloor, la gravité est devenue trois fois supérieure à la normale, les bouches se sont tues, incapables d’articuler le moindre son cohérent. Enfin, ces effets un peu gênants n’arrivent surtout qu’aux néophytes, après c’est comme tout, on s’habitue: on réapprend à bouger avec ce scaphandre encombrant, à babiller comme un nouveau-né. Faut un peu de métier. Et du métier, Goldie en a à revendre.
"Mets une capote, d'abord.
- Non. Le lien qu'on a, c'est pour la vie. On partage tout.
- Ici on chope une hépatite rien qu'en respirant un peu trop fort l'air des toilettes!
- Je fais confiance au karma (il lui attrape la tête entre les mains) Est ce que tu m'aimes?"
Elle baisse les yeux, soupire, les relève.
"Avec toi c'est peut être plus fort qu'avec les autres...
- Si l'un de nous est malade, l'autre doit l'être aussi.
Nous mourrons ensemble, nous ferons tout ensemble."
Alors qu'il réfléchit au meilleur moyen de la convaincre d'y aller bare-back, elle le pousse à l’intérieur.
"Je prends le risque", lui murmure-t-elle à l'oreille, sur le ton d'une faveur.