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Critique de Michel69004


Chères lectrices (et éventuellement chers lecteurs), je vous invite à une petite diablerie.
Profitez de n'importe quel évènement (fête des pères, anniversaire, cousinade, St Valentin, dîner etc.) ou faites le seulement par malicieuse gentillesse :
offrez ce bouquin à vos mâles préférés quitte à leurs faire croire qu'il s'agit d'un bon petit polar sympa, écrit par Hannelore Cayre ( "Tu sais bien mon chéri, l'autrice de la Daronne, t'as vu le film avec Isabelle Huppert…") et, selon leur rythme de lecture (souvent lent), attendez sournoisement le résultat en affichant un petit sourire en coin.

J'adorais Hannelore Cayre, tellement stylée dans ses conférences, mais maintenant, à la suite de ce livre, je suis confit d'admiration.

Olie est une adolescente de l'aurignacien. L'action se passe donc en Dordogne, sur les bords de la Veyssière il y a 35000 ans. Ça caille à peu prés tout le temps, il faudra attendre 25000 ans pour sortir de cette glaciation.
L'endroit est plutôt sympa alors de petits groupes d'hominidés se croisent gentiment. C'est à cette époque et à cet endroit que Sapiens, grand et noir de peau, venu récemment d'Afrique (on parle en centaine d'années, là), croise pour la première fois Neandertal, autochtone, blanc, petit et costaud, bien acclimaté au froid. Ils ne se fréquentent que très peu mais il y a néanmoins des accointances, puis des mélanges et enfin du métissage.
Ami(e)s de Normandie ou du Lubéron, sachez que vous possédez sans doute 0,2% de gènes néandertaliens. Pas de panique, c'est un vrai avantage, surtout l'hiver quand vous chassez le mammouth laineux.
Car, dans l'environnement d'Olie, il y a certes une tribu très nomade de ces petits blancs qui sentent très mauvais, qui passent beaucoup de temps à se sauter dessus ( les néandertaliens ne s'intéressent pas du tout à notre ado tourmentée) mais il y a surtout des grosses bébêtes qu'ils faut éviter et/ou chasser (le must, si on ne se fait pas bouffer par un lion des cavernes, c'est de dézinguer à la lancette un gros mégacéros).
Olie est en colère : elle sait parfaitement chasser mais n'en a pas le droit. Elle zigouille un lapin et zou, Oncle-Ainé (le chef) lui sectionne une phalange.
Elle rescidive : elle prend cher, on lui coupe le pouce de la main droite. Mais Olie est gauchère, révoltée et intelligente.
Son clan, composé d'une quinzaine de personnes est le plus exogamique possible. Mais, pour se perpétrer, les oncles prennent souvent leurs nièces, le plus souvent de force, on y reviendra.
Les autres sapiens, pubères et consentants, s'accouplent dans une joyeuse pagaille, car ils y prennent parfois du plaisir et ne font pas mystère de leur désir.

En parallèle de l'histoire d'Olie, se déroule l'inauguration, de nos jours, de l'extraordinaire nouvelle grotte dite de"Winiarczyk" du nom de l'ouvrier polonais qui, creusant une piscine (sans permis) l'a découverte, en Dordogne.
Adrienne Célarier va présenter la grotte au public, c'est l'apothéose de sa carrière, elle a damé le pion à tout le monde, a bien niqué la DRAC, actionné tous les pistons, c'est Sa grotte.
Et pas n'importe laquelle puisqu'elle est d'un intérêt archéologique majeur.
C'est grâce à elle qu'on va commencer à y voir plus clair sur le rôle des femmes de cette époque et surtout parce que son contenu va permettre un nouveau narratif sur la naissance du patriarcat. On n'en dira pas plus sinon pour parler de toutes ces empreintes mystérieuses de mains de femmes aux doigts sectionnées, présentes un peu partout sur les parois de grottes en Europe. Elles sont ici d'une densité et d'un degré de conservation extraordinaire et accompagnées au sol d'un squelette masculin et d'un squelette féminin mais aussi d'un tas d'autres choses passionnantes..

Vous l'avez compris le vrai-faux thriller commence alors avec en alternance le récit d'Olie, de ses découvertes matérielles, biologiques, esthétiques et ontologiques et la conférence d'Adrienne qui va stupéfier l'assistance : mais que s'est-il donc passé dans cette grotte ? Meurtre à l'aurignacienne ou règlement de comptes inter-ethnique ?

Le voyage d'Olie est une merveille de drôlerie et de réflexions profondes sur la création des artefacts, l'émergence de la pensée créative et esthétique du côté des femmes de cette époque. Il a fallu pour cela qu'elle s'extrait de la horde primitive et fasse de drôles de rencontres.
Mais ce qui rend ce roman peu commun, c'est le référentiel sur lequel il repose :
-Les travaux formidables de la pionnière italienne de l'anthropologie féminine Paola Tabet qui a publié Les Doigts Coupés (qui a donc largement inspiré Hannelore Cayre) et qui décrit l'accaparement des armes et des outils par les hommes, la reproduction forcée et les échanges économico-sexuels et La Construction Sociale de l'inégalité des sexes qui traite de la division sexuée du travail, socle de la domination masculine.
-Les travaux de Priscille Touraille avec Hommes grands, femmes petites; pour l'inégalité d'accès à la nourriture
- Ceux de Vinciane Despret, géniale philosophe belge, élève ou acolyte plutôt de Descola, sur la manière dont les morts rentrent dans la vie des vivants.
-Dorothée Dussy, directrice de recherche au CNRS, pionnière de l'écoféminisme avec le Berceau des dominations (et qui, après avoir beaucoup travaillé sur l'inceste, travaille désormais sur les relations humains-abeilles…)
-L'article de Claude Obadia "Le mystère de l'expérience du beau"
etc;

Mais je vous entends bien : que devient notre Olie dans tout ça ?
Rassurez-vous, elle va s'en tirer à bon compte selon des modalités que je vous laisse découvrir en lisant ce roman aussi militant que désopilant, original et inspiré.
Mais juste un poil trop court…
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