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Critique de Pasoa


Pasoa
27 février 2024
Lire Paul Celan est toujours une expérience particulière. Chacun de ses poèmes interroge sur le lien étroit qui unit l'écriture et la vie de l'auteur et le rapport à la langue.

Issu d'une famille juive de Bucovine, Paul Celan aura été marqué par une personne - sa mère Friederike Antschel née Schrager - et par un évènement, celui de la déportation et de la mort de ses parents survenue en 1942 dans un camp de concentration de Transnitrie (actuelle Moldavie).

Dans la famille Antschell (Ancel en roumain, que l'auteur modifiera plus tard en Celan), on parlait en allemand. Attentive et dévouée, la mère du poète restera pour lui celle qui lui a transmis le goût pour la culture, la lecture et avec elles, de la liberté. Toute son ambition littéraire, tout son rapport au langage, Paul Celan le doit d'abord à sa mère.

Le drame de sa disparition va être pour le jeune Paul Celan un point de bascule, une prise de conscience dont il ne se défera jamais. La langue allemande, maternelle, jusque-là synonyme de liberté, devient tout à coup celle des bourreaux, celle d'un pouvoir totalitaire et exterminateur.
En 1944, le jeune poète écrit un poème intitulé Näher der Gräber (Proximité des Tombes) dans lequel il s'adresse à sa mère disparue :


« Et tolères-tu encore, comme jadis chez nous, ô mère, La rime douce, la rime allemande, la rime amère ? »


Cette question montre tout le rapport ambivalent que Celan nourrit alors envers la langue allemande, tout à la fois maternelle, émancipatrice et instrument d'oppression. Ce sentiment ambigu, contradictoire, va structurer toute la pensée et l'écriture de Paul Celan.
C'est en 1958, lors de son discours de réception du prix littéraire de la ville de Brême, en Allemagne, qu'il tente un début de réponse à la question posée des années plus tôt à sa mère :

« Accessible, proche et sauvegardée au milieu de tant de pertes ne demeura que ceci : la langue. Elle, la langue, fut sauvegardée, oui, malgré tout. Mais elle dut alors traverser son propre manque de réponses, dut traverser un mutisme effroyable, traverser les mille ténèbres des discours porteurs de mort. Elle traversa et ne trouva pas de mots pour ce qui se passait, mais elle traversa ce passage et put enfin ressurgir au jour, « enrichie » de tout cela. »


Ce passage du discours est significatif de l'écriture de Celan. La langue, vue comme un lieu de conflit et de réconciliation, devient celui de la persévérance, de la nécessité et de l'exigence d'une « contre-parole » qui n'accepte pour seule allégeance que celle faite à « la majesté de l'Absurde qui témoigne de la présence de l'humain ».


Composé d'une présentation biographique du poète, d'un choix de poèmes couvrant la plus grande partie (de 1952 à 1970) de l'activité littéraire de Paul Celan et d'un essai sur son oeuvre poétique, Poèmes (publié en 1967 chez José Corti) de John E. Jackson est un ouvrage idéal pour entrer dans l'écriture et la vie de Paul Celan. le choix d'une édition en version bilingue, celui des poèmes et de leur traduction font de ce recueil une référence bibliographique, un incontournable.

Cet extrait encore du discours de Brême, comme une ode à l'écriture, à la poésie :

« le poème, en tant qu'il est une forme du langage, et par là d'essence dialogique, le poème peut être une bouteille jetée à la mer, abandonnée à l'espoir - certes souvent fragile - qu'elle pourra un jour être recueillie sur quelque plage, la plage du coeur, peut-être. »

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