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Critique de Brooklyn_by_the_sea


Dans la série des manuscrits de Céline fabuleusement retrouvés, voici-voilà la suite de "Guerre", avec Ferdine à London.
En 1916, alors que la folie ravage le continent, Ferdinand, 23 ans, se planque à Londres et s'acoquine avec une bande de proxénètes voués au trafic de filles. Il côtoie alors une galerie de personnages extravagants : un lanceur de bombes russe, un médecin juif polonais, un aristocrate anglais ruiné, un dresseur de chats argentin... Mais entre les bagarres et les escroqueries, tant d'activités illégales attirent l'attention des autorités, d'autant que Ferdinand est considéré comme déserteur ; peu à peu, la situation se complique et se délite.

Le choc.
A un moment, Ferdinand confie avoir "hérité d'un train continuel avec toute la vapeur et les wagons et un tonnerre de Dieu dans la profondeur de l'oreille, à faire un tunnel avec toute ma tête", et c'est exactement ce que je ressens en sortant, exténuée, de cette lecture : l'impression d'être entrée en collision avec un monstre de chair et d'acier qui m'aurait fracassé le crâne. J'ai du mal à m'en remettre, Céline est trop grand et trop fort pour moi.
Plus de 500 pages de plongée en apnée dans le dur, le noir, le cru, le grotesque, le féroce, le choquant, l'émouvant, l'éblouissant : s'inspirant de son expérience londonienne émancipatrice, Céline met son âme à nu derrière ses ricanements désespérés, alternant ses vacheries habituelles ("La connerie de mon père elle avait pris trois siècles d'un coup."), avec des moments de grâce ("Un coup de reins qu'elle donnait alors à l'instant de jouir que je m'en sers encore pour vivre."), de poésie ("A la porte aussi y avait les enfants d'ivrognes qu'ont pas le droit d'entrer. Ils font des rêves avec ce qui passe. Ils s'instruisent avec la brume.") et de lucidité qui ne sombre jamais dans le cynisme ("Nous n'avons rien à nous dire au fond, rien d'humain, nous sommes tous horriblement angoissés d'être là c'est tout.").
Mais ce qui m'a le plus émue, c'est la prise de conscience par le narrateur des classes sociales et de son manque d'érudition ("Tout dépend de la fortune et de l'instruction. Avec ni l'un ni l'autre on est certain seulement de se faire bourrer la gueule et de recevoir toute l'existence par le trou du fondement."), la découverte de sa valeur ("Je l'intéressais tout simplement alors comme moi seulement, comme un homme ? C'est la première fois que ça m'arrivait. J'y croyais à peine. Jamais personne, surtout d'instruit, avait encore fait attention à ce que je pensais ou ne pensais pas."), et la révélation de sa vocation de médecin ("J'ai jamais voulu aller ailleurs qu'au bord de l'âme.").
Autant de sincérité m'a bouleversée. Et même si le roman est très violent, même s'il aborde frontalement le sexe, l'alcool, la misère, même si les bourdonnements d'oreille de Ferdinand résonnaient dans ma propre tête, j'ai été transportée par les fulgurances de beauté et d'humanité qui le traversent de part en part et le transcendent. Tout hargneux qu'il est, Céline ne peut pas s'empêcher d'aimer l'espèce humaine ("C'est pas méchant un homme au fond, c'est un acharné voilà tout. C'est fier de son rêve. C'est un poète bien marrant.").
Toutefois, il s'agit d'une lecture exigeante -et parfois éprouvante, que j'ai trouvée très ardue. le texte étant livré à l'état brut, avec une prolifération argotique et une ponctuation raréfiée (Céline n'était pas encore dans sa phase des trois petits points et points d'exclamation), j'ai dû m'appliquer pour savourer chaque phrase. Mais cet effort a été largement récompensé par le sentiment d'émerveillement qui me saisissait à chaque page.

Alors avis aux amateurs : ce roman, c'est une bombe littéraire, un truc qui explose la tête et met à genoux. Une déflagration de près de 90 ans qui n'en finit pas de nous faire vibrer corps et âme.
Plutôt balèze.
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