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Critique de Patsales


Voyage au bout de la nuit, relecture. le problème est qu'avec un tel livre on ne se contente pas de comparer ses souvenirs avec une redécouverte parce que, à la confrontation de soi avec soi, s'ajoute tout ce qu'on a pu lire ou entendre sur cette oeuvre, et il est difficile de ne pas avoir beaucoup lu et entendu.
L'avantage c'est de ne plus être une étudiante en lettres forcément désireuse de dire ce qu'elle croit qu'on attend d'elle; tiens finalement -osons la formule- peut-être suis-je plus vierge qu'à l'époque et plus apte à lire innocemment ce truc sulfureux. Enfin, sulfureux, déjà, ça se discute.
Je me souviens que la tarte à la crème de l'époque consistait à comparer Céline et Voltaire, Bardamu et Candide. Bon, pourquoi pas. Deux quêtes à travers un monde odieux, à entasser le mal sur le mal. D'abord la guerre, bien sûr ; et l'esclavage devenu colonialisme et en tirant un peu le fanatisme de l'inquisition se retrouve dans le dieu Capitalisme, « les ouvriers penchés soucieux de faire tout le plaisir possible aux machines ». Et puis au bout de cette errance à saute-continent, l'ennui métaphysique à Venise pour l'un, en banlieue parisienne pour l'autre ; Robinson qui refait surface aussi obstinément que Pangloss, la femme aimée devenue laide ou jalouse... On trouve même une vieille dans les deux livres!
Mais plus intéressantes sans doute sont les différences. le voyage physique dans « Candide » fait l'essentiel du roman tandis l'errance géographique de Bardamu n'occupe pas la moitié du roman. Ce n'est pas le mal qui horrifie Céline, mais la nuit, celle de l'âme. À relire les pages tant citées sur la guerre de 14 je suis frappée par le peu de morts qui y figurent. L'horreur n'est pas dans la boucherie mais dans la désinvolture des gradés qui font fi du désir de vie des hommes. C'est là le leitmotiv du Voyage: personne n'aime personne, personne n'est désintéressé, l'autre n'est toujours qu'un moyen et Bardamu se déteste d'aider (parfois) les autres non par amour mais par faiblesse, et si peu, et si mal. Et pourtant, de la tendresse, si, si, on en trouve. La preuve par huit, mais seulement parce que j'ai la flemme de recopier jusqu'à neuf.
« Pour la première fois un être humain s'intéressait à moi, du dedans si j'ose le dire, à mon égoïsme, se mettait à ma place à moi et pas seulement me jugeait de la sienne, comme tous les autres.
Ah! si je l'avais rencontrée plus tôt, Molly, quand il était encore temps de prendre une route au lieu d'une autre! »
« Des « honoraires »? En voilà un mot ! Ils n'en ont déjà pas assez pour bouffer et aller au cinéma les malades, faut-il encore leur en prendre pour faire des « honoraires » avec? Surtout dans le moment juste où ils tournent de l'oeil. C'est pas commode. On laisse aller. On devient gentil. Et on coule. »
« Bébert m'avait vu venir. [...] Sur sa face livide dansotait cet infini petit sourire d'affection pure que je n'ai jamais pu oublier. Une gaieté pour l'univers. »
« J'effectuais une fois de plus les deux ou trois menus simulacres qu'on attendait et puis j'allais reprendre la nuit, pas fier, parce que comme ma mère, je n'arrivais jamais à me sentir entièrement innocent des malheurs qui arrivaient. »
« Est-ce que la vie elle est gentille avec eux? Pitié de qui et de quoi qu'ils auraient donc eux? »
« Être seul c'est s'entraîner à la mort. »
« Les gens [...] ils en ont de l'amour en réserve. Y en a énormément. On peut pas dire le contraire. Seulement c'est malheureux qu'ils demeurent si vaches avec tant d'amour en réserve, les gens. Ça ne sort pas, voilà tout. C'est pris en dedans, ça reste en dedans, ça leur sert à rien. Ils en crèvent en dedans, d'amour. »
« On se cherche bien encore des trucs et des excuses pour rester là avec eux les copains, mais la mort est là aussi elle, puante, à côté de vous, tout le temps à présent et moins mystérieuse qu'une belote. Vous demeurent seulement précieux les menus chagrins, celui de n'avoir pas trouvé le temps pendant qu'il vivait encore d'aller voir le vieil oncle à Bois-Colombes, dont la petite chanson s'est éteinte à jamais un soir de février. »
Le Céline du « Voyage » n'est ni nihiliste ni misanthrope. Il est seulement désespéré et les jardins à cultiver ne courent pas les rues.
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