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Critique de nadejda


L’imposture n’est pas qu’un mensonge et c’est en cela qu’elle parvient à tromper ceux qui s’y trouvent confrontés que ce soit l’imposteur qui finit par croire en son bien-fondé, ou ceux qui croisent occasionnellement sa route et même ceux qui le côtoient quotidiennement comme sa famille et ses amis. Se bâtissant sur des vérités que l’imposteur agrémente et mélange avec des mensonges, elle devient vraie.
L’imposteur en fait sa réalité tel Enric Marco qui parvient à faire « un roman de sa vie », que Claudio Magris qualifie de « menteur qui dit la vérité ».

Comment écrire alors, un roman sur un personnage comme Enric Marco qui aura fait de sa vie une fiction, à laquelle tout le monde croira pendant des années ? Impossible nous dit Xavier Cercas qui reculera pendant sept ans le moment d’écrire ce livre par peur de paraître réhabiliter Marco, de l’excuser, de le conforter dans son rôle de héros. 
Alors qu’il souhaitait par son livre, et aussi au fil des rencontres qu’ils auront, le faire revenir à la raison « le faire agir contre le faux Marco…retrouver le véritable Marco de même qu’à la fin de Don Quichotte, Alonso Quijano agit en faveur de lui-même en cessant d’être Don Quichotte. »

Ce livre de Xavier Cercas décortique et fait jouer toutes les facettes de l’imposture si bien que par moment on ne sait plus qui est l’imposteur lui, nous ou Enric Marco.
Comment romancier et lecteurs ne pourraient-ils pas se laisser prendre et ressentir parfois un intérêt si ce n’est une certaine admiration pour cet « embobineur hors pair » ?
Comme le dit Raul fils de Javier Cercas auquel son père vient de dire que le sujet de son prochain livre sera l’affaire Marco
« … C’est bien ce vieux qui disait qu’il avait été dans un camp de concentration et après, il s’est avéré que c’était un mensonge, c’est ça ?
(…) Un type intéressant, on ne peut pas mentir autant sans être intéressant. »

Et ce livre est non seulement intéressant mais passionnant par le jeu constant qu’il joue entre mensonge et vérité, mais aussi gênant parce qu’il nous met en face de nous-même et de nos contradictions et nous pose beaucoup de questions sur notre société où règne le mensonge, une société où l’information est falsifiée, où l’imposture est possible car elle la favorise. Qu’est le storystelling dont raffolent hommes politiques et entreprises sinon une vaste imposture à l’échelle de la société entière ?.

« … c’est surtout les médias qui ont fini par transformer Marco en héros et en champion de ladite mémoire historique, pour ne pas dire en une vraie rock star.
(…) les journalistes l’adoraient, ils en perdaient la tête, se battaient pour avoir un entretien avec lui.
(…) De plus, Marco flattait leur vanité : dans les entretiens avec ce personnage extraordinaire, ce vieux soldat de toutes les guerres ou de toutes les guerres justes, les journalistes se voyaient eux-mêmes comme d’audacieux défricheurs d’un passé négligé dont personne ne voulait parler, le meilleur de leur pays, le passé le plus noble et le mieux caché, et ils sentaient qu’ils rendaient ainsi justice, honoraient à travers Marco toutes les victimes négligées non seulement par le franquisme mais aussi par la démocratie qui lui a succédé. » p 278-279

Comme Javier Cercas je n’excuse pas Marco Enric qui maintient « qu’il n’a pas menti mais seulement altéré la vérité ». Mais le livre que je viens de lire m’a fait me questionner et m’a vraiment désarçonnée. Rien que pour cela il mérite d’être lu. Il est impossible d’en rendre toute la complexité car il met au jour toutes les contradictions qui nous habitent et les analyse en profondeur. Il ne peut pas laisser indifférent.
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