AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,78

sur 262 notes
5
19 avis
4
19 avis
3
12 avis
2
6 avis
1
0 avis
L’imposture n’est pas qu’un mensonge et c’est en cela qu’elle parvient à tromper ceux qui s’y trouvent confrontés que ce soit l’imposteur qui finit par croire en son bien-fondé, ou ceux qui croisent occasionnellement sa route et même ceux qui le côtoient quotidiennement comme sa famille et ses amis. Se bâtissant sur des vérités que l’imposteur agrémente et mélange avec des mensonges, elle devient vraie.
L’imposteur en fait sa réalité tel Enric Marco qui parvient à faire « un roman de sa vie », que Claudio Magris qualifie de « menteur qui dit la vérité ».

Comment écrire alors, un roman sur un personnage comme Enric Marco qui aura fait de sa vie une fiction, à laquelle tout le monde croira pendant des années ? Impossible nous dit Xavier Cercas qui reculera pendant sept ans le moment d’écrire ce livre par peur de paraître réhabiliter Marco, de l’excuser, de le conforter dans son rôle de héros. 
Alors qu’il souhaitait par son livre, et aussi au fil des rencontres qu’ils auront, le faire revenir à la raison « le faire agir contre le faux Marco…retrouver le véritable Marco de même qu’à la fin de Don Quichotte, Alonso Quijano agit en faveur de lui-même en cessant d’être Don Quichotte. »

Ce livre de Xavier Cercas décortique et fait jouer toutes les facettes de l’imposture si bien que par moment on ne sait plus qui est l’imposteur lui, nous ou Enric Marco.
Comment romancier et lecteurs ne pourraient-ils pas se laisser prendre et ressentir parfois un intérêt si ce n’est une certaine admiration pour cet « embobineur hors pair » ?
Comme le dit Raul fils de Javier Cercas auquel son père vient de dire que le sujet de son prochain livre sera l’affaire Marco
« … C’est bien ce vieux qui disait qu’il avait été dans un camp de concentration et après, il s’est avéré que c’était un mensonge, c’est ça ?
(…) Un type intéressant, on ne peut pas mentir autant sans être intéressant. »

Et ce livre est non seulement intéressant mais passionnant par le jeu constant qu’il joue entre mensonge et vérité, mais aussi gênant parce qu’il nous met en face de nous-même et de nos contradictions et nous pose beaucoup de questions sur notre société où règne le mensonge, une société où l’information est falsifiée, où l’imposture est possible car elle la favorise. Qu’est le storystelling dont raffolent hommes politiques et entreprises sinon une vaste imposture à l’échelle de la société entière ?.

« … c’est surtout les médias qui ont fini par transformer Marco en héros et en champion de ladite mémoire historique, pour ne pas dire en une vraie rock star.
(…) les journalistes l’adoraient, ils en perdaient la tête, se battaient pour avoir un entretien avec lui.
(…) De plus, Marco flattait leur vanité : dans les entretiens avec ce personnage extraordinaire, ce vieux soldat de toutes les guerres ou de toutes les guerres justes, les journalistes se voyaient eux-mêmes comme d’audacieux défricheurs d’un passé négligé dont personne ne voulait parler, le meilleur de leur pays, le passé le plus noble et le mieux caché, et ils sentaient qu’ils rendaient ainsi justice, honoraient à travers Marco toutes les victimes négligées non seulement par le franquisme mais aussi par la démocratie qui lui a succédé. » p 278-279

Comme Javier Cercas je n’excuse pas Marco Enric qui maintient « qu’il n’a pas menti mais seulement altéré la vérité ». Mais le livre que je viens de lire m’a fait me questionner et m’a vraiment désarçonnée. Rien que pour cela il mérite d’être lu. Il est impossible d’en rendre toute la complexité car il met au jour toutes les contradictions qui nous habitent et les analyse en profondeur. Il ne peut pas laisser indifférent.
Commenter  J’apprécie          678
Le Cercas nouveau est arrivé et c'est un grand cru.
Lorsque le romancier, épuisé par l'écriture de son livre Anatomie d'un instant arrive à la conclusion que sa vie est une farce, lui revient en mémoire le scandale "Enric Marco", "l'imposteur" , dont la révélation provoqua un émoi considérable, surtout en Catalogne. En, 2005, à la veille du 60ème anniversaire de la libération du camp de Mauthausen, l'historien Benito Bermejo révèle à l'Espagne médusée que Marco, l'infatigable porte-parole des anciens déportés espagnols, le républicain combattant, la figure du syndicalisme catalan, le conférencier qui témoigne des horreurs de la déportation, l'auteur de Los cerdos del comandante, n'avait non seulement jamais été interné au camp de Flossenburg, mais était parti travailler comme volontaire civil à Kiel en Allemagne en 1941 (date à laquelle il était supposé avoir été arrêté par la Gestapo à Marseille).
Son témoignage était aussi faux que celui de Misha Defonseca/ Monique de Wael, qui survivait avec les loups depuis la Belgique. Un passé de déporté fantaisiste, un parcours militant clandestin fictif... le très habile Enric Marco, le menteur qui dit vrai, avait fini par croire à ses inventions, tromper les Espagnols (il faut dire que la Shoah est peu connue en Espagne), pour leur offrir la figure d'un héros dans une époque trouble.
Le 15 mai 2005, Mario Vargas Llosa se fendait d'un remarquable article dans El Pais, "Espantoso y genial", dans lequel il célébrait le talent de conteur d'Enric Marco, brutalement interrompu par un historien empêcheur de tourner en rond: "Señor Enric Marco, contrabandista de irrealidades, bienvenido a la mentirosa patria de los novelistas."
C'est également cette facette du personnage qui passionne Javier Cercas. Dans ce récit protéiforme qui mêle investigation personnelle, fiction factuelle, réflexion sur l'affabulation, interrogation sur la création littéraire le romancier utilise l'image des pelures d'oignon pour parvenir à la vérité de l'affaire Enric Marco. On se remémore alors les souvenirs de guerre de Günter Grass évoqués dans son ouvrage Pelures d'oignon, mais pas seulement. El impostor fourmille de références littéraires qui ouvrent davantage encore le champ de la réflexion. Cercas poursuit ses réflexions sur le Héros, qu'il soit le républicain des Soldats de Salamine, Suarez et le 23 F (Anatomie d'un instant) , El Zarco des Lois de la frontière... Dans El impostor, sans doute sa plus belle oeuvre, Cercas montre comment Enric Marco, homme médiocre, menteur, plagiaire, faussaire est parvenu avec un incroyable talent et une audace à toute épreuve, à faire d'une existence banale la plus extraordinaire des oeuvres de fiction. Riche panorama de la vie espagnole, de l'aventure anarcho-syndicaliste de la fin des années 20 aux années post-franquistes, El impostor est la preuve que dans un temps de mémoire, et non d'histoire, l'affabulation ne peut que prospérer.


Commenter  J’apprécie          6336
Il y a des oeuvres qui rebutent même leurs auteurs. Soit parce qu'elles révèlent plus qu'ils ne le voudraient sur eux-mêmes, soit parce qu'elles s'attaquent à quelque chose qui dépasse les normes sociales. Et parfois, on retrouve les deux motifs concomitamment, c'est le cas pour L'imposteur qui déshabille Enric Marco de tous ses attributs de héros national. Roi déchu quelques années avant la parution de ce livre de son trône de résistant anti franquiste et de survivant de l'Holocauste, Marco se retrouve totalement nu ou presque sous la plume de Javier Cercas.
C'est pas beau à voir.
Car menant l'enquête, l'auteur espagnol démonte méthodiquement le château de sable que s'est construit Marco avec un aplomb sans pareil. Attelé à recomposer son parcours, Cercas use toutefois de la littérature pour mettre en scène sa propre investigation ou pour évacuer quelques unes des zones d'ombre. C'est certainement pour cela que l'auteur utilise volontairement l'expression de roman sans fiction et non le terme de biographie qui est quant à lui totalement absent.
Les faits grossièrement reconstitués et les certitudes peu à peu acquises donnent en tout cas un portrait fascinant à lire. On découvre un anonyme, voire un invisible prisonnier d'un narcissisme flamboyant qui n'a pas seulement menti et réinventé sa vie, il est également parvenu quelques facteurs extérieurs aidant à inscrire son nom dans l'histoire de son pays. le prestige du résistant et du déporté gagné ainsi que les mensonges de plus en plus sophistiqués ont rendu sa falsification presque indétectable et lui presque invulnérable.

A partir du moment où l'usurpation faisait consensus au sein des institutions faute de contradicteurs, et les mensonges disséminés dans des vérités irréfutables ayant revivifié la mémoire collective (laquelle avait été balayée par la transition démocratique après la mort de Franco), il n'était pas confortable d'oeuvrer à révéler l'imposture ou à la décortiquer. Les nombreuses répétitions obsessionnelles de l'auteur en témoignent, de même que le dialogue imaginaire entre l'auteur et Enric Marco...il met en évidence les défis et les contradictions morales de Javier Cercas qui, après tout, se sert de la fiction également dans ses oeuvres pourtant hantées par la quête de vérité.

Bien que je ne sois pas une admiratrice de l'esthétique littéraire de l'auteur, cette enquête a été passionnante à bien des égards. Javier Cercas ne s'est pas contenté de déconstruire la vie d'un homme, il a tendu un miroir dans lequel on voit le reflet de l'Espagne piégée par le culte de la mémoire et celui de l'auteur en proie à ses propres contradictions. «Marco n'était pas seulement fascinant en tant que tel, mais aussi par ce qu'il révélait des autres».
S'atteler à écrire sur un personnage réel est toujours une entreprise risquée car on risque de tomber dans la complaisance de mauvais goût. Mais Cercas est parvenu à éviter cet écueil en s'engageant dans le récit prudemment. Et lorsque l'exercice est réussi, on se rend compte combien la fiction est paradoxalement importante dans la transmission de l'Histoire...
Commenter  J’apprécie          625
"L'imposteur" ou "Autopsie d'un imposteur" ,est "la vraie histoire" d'Enric Marco,icône antifranquiste,porte-parole des survivants espagnols de l'Holocauste, qui s'est construit une vie fictive,basée sur des mensonges sur toute sa vie.Il sera démasqué en 2005 par un jeune historien espagnol.
Écrire une critique sur ce livre s'avère difficile,car le livre est complexe et se lit à plusieurs niveaux.
D'emblée avec le tout premier paragraphe,Cercas nous prend de court:
"Je ne voulais pas écrire ce livre.....Ce livre est terminé.....Je ne voulais pas l'écrire parce que j'avais peur....Ce n'est que maintenant que je sais que ma peur est justifiée."
En faite le vrai protagoniste du livre est Cercas lui-même.Il a fait un travail d'orfèvre,se consacrant corps et âmes à démonter des mensonges construits sur une période de 30-40 à 50 ans. Le résultat? Un livre époustouflant de simplicité,de lucidité et d'intelligence,qui repose sur la vérité et sur des faits au plus près de la réalité,laissant quand même du terrain à la fiction et beaucoup de questions sans réponses....
Et pour Marco? Cercas dit que la fiction sauve, la réalité tue,mais jusqu'à une certaine limite , au-delà de laquelle le contraire peut s'avérer....
A travers l'histoire de Marco, Cercas revient à la littérature: un roman est-il un mensonge ? Une fiction est-il un mensonge ?et compare Marco avec un romancier :"Marco opére comme un romancier..comme Marco le réel,le romancier est profondément insatisfait de sa vie; non seulement de sa propre vie mais de la vie en général; et c'est pourquoi il la refait selon ses désirs,par le biais des mots,dans une fiction romanesque..."
L'auteur pose aussi la question de l'imposture au niveau de l'histoire et la mémoire collective de l'Espagne, qui a facilité l'imposture de Marco.L'Espagne doit faire face à son passé avec la réalité et non la fiction.
J'ai beaucoup aimé aussi sa confession sous forme de dialogue fictif avec Marco...que je trouve sincère et touchant.
Est-ce-que en écrivant ce livre , Cercas a-t-il atteind son but?,transformer ce livre en grand diffuseur de la vérité définitive d'Enric Marco? Un livre peut-il concilier un homme avec la réalité et avec lui-même?c'est-à-dire au jour où on sait pour toujours qui on est....je pense que oui...un oui hésitant .....
Commenter  J’apprécie          613
L'imposteur c'est l'histoire d'un imposteur espagnol Enric Marco qui a fini par être démasqué,alors qu'il devait participer aux commémorations du soixantième anniversaire de la libération des camps de concentration , qui s'était inventé tout un passé d'antifasciste. Je n'avais jamais entendu parler de cet auteur espagnol ni de l'histoire d'Enric Marco , c'est en lisant une critique sur le site que j'ai eu envie de lire ce livre et j'avoue que je ne suis pas déçue , bien au contraire , le livre a tenu ses promesses , c'est un livre qui pose des questions intéressantes sur les notions de mensonge , de vérités comme les phrases :
Le bon mensonge est pétri de vérités
Le menteur dit ce que l'on veut entendre . L'auteur met en parallèle le mythe de Narcisse qui ne doit ni se connaître , ni se reconnaître et d'un des plus fameux espagnol de fiction célèbre , je veux parler de Don Quichotte . L'auteur analyse les notions si fluctuantes du mensonge et de la vérité ,
évoque le chantage du témoin : le témoin et l'histoire sont deux choses différentes nous dit - il et l'historien doit avoir le courage de tenir tête .
' L'histoire et la mémoire sont opposées. La mémoire est individuelle partielle et subjective , l'histoire en revanche est collective et elle aspire à être totale et objective ' . La mémoire collective ce sont des souvenirs d'autres personnes qu'on a entendu , qu'on nous a raconté et elle n'est pas une source historique fiable .
Beau développement également sur la notion de kitch , le kitch en art et le kitch romanesque , utilisé par Enric Marco , qui est un ersatz de la vérité , en fait le
menteur nous dit ce que nous voulons entendre , la majorité des gens aiment ce genre de choses , il est donc difficile de le démasquer , il faut du courage pour le faire , on est le trublion , et personne n'aime en être un .
Les histoires racontées étaient trop romanesques , Enric Marco donnait trop de détails , il enjolivait de plus en plus son récit , au point que quelques anciens prisonniers des camps le prenaient pour un clown .
Mais l'auteur pose les bonnes questions et nous interroge sur le rôle des médias qui aiment ce genre de récits , plus le mensonge est gros plus la majorité y adhère.
Javier Cercas , nous parle de sa première rencontre avec Marco , au début joue le rôle de l'inquisiteur, il veut obliger Marco à reconnaître son imposture , il le pousse dans ses retranchements mais de toute façon Marco
ne l'a reconnaîtra jamais , il justifiera jusqu'à la fin ce qu'il a fait , pour le devoir de mémoire même s'il se rend bien compte qu' il a
déçu les gens qui sont maintenant gênés de l'avoir cru , il y a une petite minorité qui ne l'a pas cru .
Quel rôle a joué l'Espagne qui devait oublier son passé franquiste , pour pouvoir passer du franquisme à la démocratie sans guerre civile , on a fait un pacte d'oubli momentané , la majorité des espagnols ont occulté ou embelli leur passé . Ce n'est qu'à peu près vingt cinq ans après qu'on a enfin pu penser aux victimes , le délai de vingt cinq a été comme après la guerre en Allemagne.Les gens se sont réinventés un passé ou l'ont embelli . A ce moment de l'histoire d'Espagne , on a eu soudain envie de parler des victimes , de réparer le mal qu'elles ont subi et c'est dans ce contexte de devoir de mémoire que Marco a trouvé son public , le contexte permet aussi à Marco d'aller toujours plus loin dans ses mensonges .
Au fur et à mesure des rencontres avec Marco qui est tout de même un imposteur de première catégorie , l'auteur ne jouera de moins en moins l'inquisiteur , il essaye de comprendre et nous dit de façon très juste que c'est le rôle de l'écrivain aussi , il ne veut pas justifier les actes de Marco , encore moins le réhabiliter mais veut essayer tout au moins d'expliquer .
Marco le menteur pathologique , le séducteur , le narcissique a peut - être une ressemblance avec l'écrivain , un écrivain n'est il pas un menteur narcissique lui aussi .
Le livre est aussi un cas d'étude psychiatrique , qui garde ses mystères , homme qui a menti même sur sa date de naissance , qui a refait sa vie du jour au lendemain à deux reprises , séducteur jusqu'au bout , qui essaye de flatter l'auteur , qui ne
s'est pas écroulé après l'affaire, soutien indéfectible de ses filles , une a même pris la parole publiquement.. Homme à l'énergie débordante qui a fait un nombre incalculables de conférences , a écrit des articles , des livres , assoiffé de reconnaissance , de mise en lumière .
Un livre qui m'a passionné , j'ai vu que l'auteur avait écrit plusieurs livres dont Les soldats de Salamine , je le relirai , je pense que ce livre de non fiction comme l'appelle Javier Cercas est le meilleur livre que j'ai lu depuis longtemps .
Il m'a séduite par ses réflexions , ses questionnements pertinents .
Commenter  J’apprécie          440
Me voilà repartie sur ma lancée de la rentrée littéraire avec ce roman très attendu (enfin pour ma part). Cette fois c'est donc vers l'Espagne que se porte mon attention aux côtés de Javier Cercas, auteur très célèbre chez nos voisins et qui bénéficie d'une belle réputation chez nous également. Après son remarqué et polémique roman Les Soldats de Salamine, monsieur Cercas continue de creuser le sombre passé franquiste de l'Espagne tout en abordant par la même occasion la thématique du roman vrai ou de la fiction réelle chère à son coeur. Et là c'est du lourd côté scénario, son livre reprenant un fait divers qui fait froid dans le dos : Enric Marco, figure de l'antifascisme, héros de l'anti franquisme, militant anarcho-syndicaliste, fier parangon de la liberté, déporté dans un camp de concentration nazie est en réalité un….. (roulements de tambours) IMPOSTEUR tout simplement.

Ce scandale, révélé dans les années 2010 par un historien bien décidé à lever le voile sur cette mystification, a choqué l'opinion publique espagnole. Car outre le préjudice moral, se pose le problème du marché lucratif de la mémoire historique (opposé à l'Histoire, plus rationnelle) à une époque où l'Espagne a éprouvé le besoin de créer et glorifier ses nouveaux héros de la liberté et d'exorciser ses démons. Javier Cercas a longtemps hésité avant de consacrer un roman à ce personnage haut en couleur et polémique, vieil homme de 95 ans, cet homme qu'est Enric Marco. Pathétique, roublard, affable, maniant le verbe et la rhétorique comme personne, drôle et attachant, mythomane narcissique pathologique, tout cela à la fois, Enric Marco a fondé sa vie sur un immense mensonge qui prend racine dès ses premiers jours (il va jusqu'à mentir sur sa date de naissance pour lui donner une portée symbolique) et ce jusqu'à ses vieilles années en tant que président de l'Amicale des anciens du camp de Mauthausen, porte-parole des déportés d'Espagne pendant le 2nde guerre mondiale.

L'imposteur est la tentative de Javier Cercas de comprendre ou du moins d'analyser cliniquement les raisons qui ont poussé Enric Marco à mentir, en mettant au jour un à un les mécanismes de cette vaste mystification. Aux mensonges du vieillard, Cercas oppose la vérité, ou comment de militant communiste déporté en Allemagne, Marco s'avère être en réalité un travailleur espagnol volontaire parti dans une usine allemande dans le cadre de l'effort de guerre.

Fruit des rencontres entre l'auteur et son sujet, mais aussi recueil des témoignages de ceux qui l'ont côtoyé et recherches minutieuses dans les archives, ce « roman vrai » décrypte cette supercherie narcissique en prenant le partie de donner la parole à Enric Marco qui malgré le scandale et les preuves accablantes justifiera son imposture : bien qu'il n'ait pas vécu l‘horreur des camps, ce qu'il raconte se base sur une réalité historique indéniable. Il n'a fait que transmettre aux jeunes générations un témoignage que les survivants n'étaient pas en mesure de fournir, endossant ce rôle nécessaire pour éviter l'oubli. Emmuré dans le déni, Enric Marco continue de choquer.

Javier Cercas l'a avoué : tout se liguait contre lui pour l'empêcher d'écrire ce livre. Entre ceux pour qui (reprenant ainsi l'opinion de Primo Levi) expliquer et comprendre c'est commencer à pardonner et justifier (chose impensable,) et ceux qui ont prédit à Javier Cercas un attachement malsain au vieux bonhomme qu'est Enric Marco (perdant alors toute objectivité), toutes ces raisons ont rendu laborieux le travail époustouflant de compréhension et de restitution de la vérité qu'a entamé l'auteur. Et comme à chaque fois, Javier Cercas fait preuve de beaucoup de recul en nous faisant partager ses propres craintes, en tant qu'écrivain.

Et mon bilan dans tout ça ? J'ai lu L'Imposteur comme une enquête passionnante et extrêmement instructive, un « roman vrai » qui m'a éprouvée physiquement et moralement car les thèmes de la récupération de l'histoire à des fins politiques sont lourds de sens et me touchent au plus haut point. Javier Cercas a une plume efficace qui évite tous les écueils et ne tombe jamais dans la facilité ni le pathos, nous épargnant de tout jugement hâtif à coups de phrases assassines. J'ai été sidérée, malmenée, choquée, bousculée, émue par le récit de cette incroyable imposture et la mise en évidence d'un malaise prégnant, celui d'une Espagne et de manière générale d'une Europe qui ne savent plus faire le distinguo entre Histoire et mémoire, frontière trouble et ô combien dangereuse. Certains ont reproché le style froid, quasi clinique de Cercas. Moi je trouve au contraire qu'il a parfaitement réussi l'exercice de coller à la vérité tout en maintenant un style littéraire fluide et accessible.

L'Imposteur est un livre intelligent, qui bouscule et fait sens. C'est un livre qui invite à approfondir le débat autour de la récupération de l'Histoire qui sont des thèmes tellement actuels. Je le conseille vivement.
Lien : http://www.livreetcompagnie...
Commenter  J’apprécie          440
Encore une fois, Javier Cercas m’a bluffée, scotchée, épatée, questionnée, secouée. Son dernier livre, L’Imposteur, n’a pas fini de me donner du grain à moudre, et j’en aime jusqu’à l’ivraie, parce qu’avec Cercas, mêmes les scories sont passionnantes.

Je ne vous refais pas le résumé…Si ? Bon, vite, alors : Enric Marco a menti sur son passé de déporté de Flossenburg. Un historien le dénonce : scandale d’autant plus retentissant que ledit Marco est une icône de la Transition post-franquiste, un héros de la résistance anti-fasciste, le leader charismatique de la CNT, syndicat anarchiste résurgent, le président d’une puissante association de parents d’élèves et défenseur de l’école publique catalane et, depuis quelques années, ......le président de l’amicale du camp de concentration de Flossenburg!!!…

Intouchable, charismatique, charmeur, et très vieux - 94 ans.

En ces temps d’histoire mémorielle, nourrie de « témoignages » plus que de recherche et de vérité historiques, un tel mensonge est impardonnable.

Chute d’Icare-Marcos.

Il devient le grand maudit, le fils de la folle, le gesticulateur pathétique, le mythomane mediapathe…

Javier Cercas est d'abord, comme tout le monde, choqué, puis méfiant, intrigué enfin. Il hésite à entreprendre un nouveau livre dont Marco serait le sujet, le personnage, la matière.

Mais il s’aperçoit bientôt que toute l’histoire de ce personnage hautement romanesque est pure fiction. L’icône républicaine est une invention d’un bout à l’autre…une invention permanente, sans cesse renouvelée au gré des modes, des emballements successifs d’une opinion publique espagnole qui a enterré son passé fasciste et son silence de 40 ans dans la honte et la douleur, et qui veut elle aussi réenchanter sa vie :reformuler son passé, retrouver des héros, ranimer des engagements, et, par dessus-tout, réinventer des raisons de s’aimer.

Marco n’est plus un cas unique : il devient un cas emblématique.

Celui d’un pays- mais l’Espagne n’est pas seule concernée par ce phénomène- d’une époque, d’un comportement social qu’on pourrait qualifier de majoritaire. Marco abonde dans le sens de ce que lui souffle le grand vent des engouements médiatiques. Il est le pur produit de l’air du temps.

La folie d’une époque qui préfère le kitsch au réel rencontre celle d’un homme qui veut à tout prix qu’on parle de lui et qu’on l’aime.

C’est là qu’est le tour de force de Cercas : loin d’épingler son héros pathétique, il entreprend de le comprendre, non pour l’excuser ni le justifier, mais pour l’interroger, et, à travers lui , s’interroger lui-même.

Sur la vérité et le mensonge. Sur la connaissance de soi, si éminemment redoutable. Sur la vocation de la littérature. Sur les grands mythes qu’elle a forgés pour éclairer notre faible lanterne : Narcisse, Icare, Don Quichotte.

On ne cesse de s’interroger en effet en lisant L’Imposteur.

Et on jubile quand les sillons appuyés qui creusent le récit de leur leit-motiv sortent tout à coup de leur ornière et débouchent soudain sur une révélation, une convergence, un rapprochement.

Une clairière dans la forêt sombre des comportements humains.
Une échappée lumineuse vers la philosophie et vers l’Histoire.



Commenter  J’apprécie          412
Fascinant, surprenant, inquiétant, unique, génial quoi ! Javier Cercas nous offre la biographie de Enric Marco qui, durant 30 ans, a prétendu avoir été interné dans un camp de concentration, se faisant passer pour le héros qu'il n'était pas. Il donnait des conférences et passait à la télévision pour témoigner, jusqu'en 2005 où un jeune historien a dénoncé son imposture qui a fait l'effet d'une bombe en Espagne. Ecrit en accord avec Marco, aujourd'hui âgé de 95 ans, qui dit être né le 14 avril et non le 12, car pour ses conférences, il pouvait débuter ainsi, disant qu'il était né dix ans, jour pour jour, avant la proclamation de la Seconde République espagnole. Des mensonges comme cela surgissent durant l'enquête que fait l'écrivain qui se met également en scène. Prise de conscience et réflexions du pouvoir de la littérature. Doit-il mettre fin aux mensonges au risque que tout le monde en prenne pour son grade ? Si non, alors le biographe serait lui aussi un menteur ? C'est le serpent qui se mord la queue. C'est un grand livre que je ne suis pas prête d'oublier. Une pépite.
Commenter  J’apprécie          400
Javier Cercas fait plus que raconter la vie d'Enric Marco, l'imposteur qui s'est fait passer pour un survivant de l'Holocauste. Les entretiens de l'auteur avec l'homme sont aussi un moyen de parler de l'Histoire de l'Espagne et de lui-même, Javier Cercas, en tant que personne et romancier.
Enric Marco a traversé l'histoire avec résignation mais il éprouve, par la suite, l'envie de s'inventer un côté révolté, en mêlant habilement réalité et mensonge. L'auteur livre une belle analyse sur ce personnage complexe qui sublime sa vie, tel un Don Quichotte, afin de devenir un symbole de lutte pour l'Espagne. Cet imposteur qui a trompé tout un peuple avec son aisance et ses grands discours syndicalistes, ses souvenirs affabulés, ses prétendues rébellions…
Avec cet essai, Javier Cercas questionne le lecteur sur la réalité et le mensonge, le droit d'utiliser la mémoire collective pour en faire une histoire personnelle ou celui de se déclarer héros pour permettre à l'Espagne de se rappeler de son Histoire.
Quelques longueurs parfois mais un essai biographique qui permet de s'interroger sur Marco mais aussi l'auteur, L Histoire, la vérité... Bravo Monsieur Cercas !
Commenter  J’apprécie          310
Dans ce capharnaüm qu'est la rentrée littéraire, la sortie de L'imposteur de Javier Cercas semble incongrue. Ce livre, exceptionnel, aurait mérité d'être publié à un moment moins agité, loin de cette avalanche qui ensevelit le pauvre lecteur. Javier Cercas est un auteur immense qui se nourrit du réel et de l'histoire. L'imposteur, à l'image de L'adversaire de Carrère, est un roman sans fiction mais saturé de fiction. Une enquête journalistique et une réflexion sur ce que représente la littérature. Ni plus, ni moins. le "héros" de L'imposteur est Enric Marco (94 ans aujourd'hui), l'homme que toute l'Espagne a vénéré pendant plusieurs années : combattant du franquisme, rescapé d'un camp de concentration, président de l'Amicale de Mauthausen : un porte-parole, un symbole, une victime, un saint, une icône. Médiatisé, célébré, adoré. Jusqu'à ce jour où un modeste historien a révélé la supercherie : Enric Marco, depuis l'âge de 50 ans, avait réinventé sa vie, mentant sur (presque) toute la ligne. Javier Cercas a songé pendant des années à écrire un livre sur cet imposteur. Mais pour quoi faire ? Pour le comprendre au risque de justifier ses dires impardonnables ? Pour le sauver et lui tendre le miroir de la vérité ? Il a longtemps repoussé l'échéance mais Cercas a finalement décidé de dire tout ce qu'il savait, tout ce qu'il avait découvert, tout ce qui resterait toujours dans l'ombre. Et dans L'imposteur, l'écrivain ne cache rien : ni ses doutes, ni son dégoût ni sa fascination lors de ses 5 rencontres avec Marco. C'est fascinant et vertigineux, plus détaillé qu'un rapport d'un police. Audacieux, aussi, parce que ce n'est plus du simple procès d'un parfait mystificateur, un Picasso du mensonge, qu'il s'agit, mais de celui d'un pays entier où la démocratie s'est construite sur les vestiges d'un vaste mensonge collectif. Certes, Enric Marco est coupable de s'être attribué un faux passé mais Javier Cercas s'en prend aussi à l'industrie funèbre de la mémoire collective qu'il oppose au travail des historiens. Un terreau sur lequel l'imposture de Marco a pu se développer sans que quiconque, pendant des années, ne remette en question une histoire héroïque de toutes pièces inventées. le livre est volontiers répétitif, il s'attarde parfois sur des anecdotes sans importance. Mais sa puissance narrative est époustouflante, son érudition également, les parallèles entre son personnage et le Don Quichotte de Cervantes, imparables. Au bout du compte, Javier Cercas a compris Enric Marco et son lecteur l'a suivi, subjugué. Il n'a pas justifié ses mensonges mais les a décortiqués, expliqués, désossés. C'est tout simplement stupéfiant et passionnant de bout en bout.




Lien : http://cin-phile-m-----tait-..
Commenter  J’apprécie          310




Lecteurs (618) Voir plus



Quiz Voir plus

C'est la guerre !

Complétez le titre de cette pièce de Jean Giraudoux : La Guerre ... n'aura pas lieu

de Corée
de Troie
des sexes
des mondes

8 questions
1129 lecteurs ont répondu
Thèmes : guerre , batailles , armeeCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..