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Critique de nilebeh


« C'était un franquiste fervent, ou du moins un fervent phalangiste, ou du moins l'avait-il été au début de la guerre. »

En une phrase, Javier Cercas nous laisse comprendre toute l'ambiguïté du personnage dont il fait le centre de son « roman non fictionnel ». Manuel Mena, son grand-oncle, est le héros de la famille. Il est mort à dix-neuf ans à Bot, Catalogne, lors de la bataille de l'Ebre.

Les Cercas sont originaires d'un village figé dans le temps et l'espace, en Estrémadure, le village de Ibahernando. Village de paysans pauvres et de paysans devenus locataires de leurs terres, village d'aristocrates qui vivent à Madrid. La fracture du monde paysan se fait quand les locataires de terres deviennent des patriciens et se prennent pour des aristos. Situation assez fréquente en Espagne mais qui se révèle terriblement destructrice au bout de seulement deux ans d'existence de la Seconde République, vers 1931. Dès lors, les intérêts divergent et chacun se range dans son camp, en s'en trompant parfois.

Le propos de Cercas est de faire revivre ce « héros de la famille », phalangiste plutôt que franquiste. Il veut écrire sur lui et aidé de David Trueba, cinéaste et écrivain, il enregistre les souvenirs de gens qui ont connu le « héros ». Parmi lesquels le « Tondeur », 94 ans et toute sa tête !

Il raconte l'histoire de ce village qui, en un clin d'oeil, est passé de monarchique à républicain, de soumission à l'Église riche et indifférente au choix du temple protestant, plus soucieux des gens pauvres et qui va développer l'école. Javier Cercas parle de sa famille, de ses deux grands-pères de droite, de sa propre mère sous la coupe du héros Manuel Mena et c'est l'histoire de toute l'Espagne que nous avons sous les yeux. Ces familles d'aujourd'hui, de gauche, athées, modérées, qui savent que, très proches d'elles dans leur arbre généalogique, se trouvent d'anciens phalangistes, d'anciens franquistes. Et qui n'en parlent pas.

« Un oncle facho ? Non, la famille au grand complet ! » s'exclame le personnage, « Toute l'Espagne ou presque était franquiste, par action ou par omission. »

Des années plus tard, et encore aujourd'hui, il est difficile d'aborder ces sujets.
« Dans l'Espagne des années 1970, le mot « réconciliation » était un euphémisme du mot « trahison », parce qu'il n'y avait pas de réconciliation possible sans trahison, du moins sans que certains trahissent. »

Javier Cercas donne la parole au chef de la Phalange et à « son idéalisme venimeux », José Antonio Primo de Rivera qui affirme les principes de son mouvement : anticapitalisme, anti-marxisme, non-adhésion au franquisme, nationalisme revendiqué : «  Arriba Espana, una, grande, libre ! ». Puis des décennies de dictature, d'exécutions, de tortures. La Phalange a fini par se plier sous la férule de Paquito !

Le narrateur raconte les assassinats perpétrés sous le nom de « la promenade », plus par les franquistes que par les républicains. Il raconte l'exécution d'une jeune fille qui n'avait pas d'autre tort que celui d'être la fiancée d'un révolutionnaire. Il raconte comment les franquistes ont recruté et formé en quinze jours 300 000 sous-lieutenants, « sous-lieutenant intérimaire, cadavre titulaire », disait-on alors !

Ce roman autobiographique est une recherche passionnée de « la vérité » d'un héros qui s'était trompé de camp, appuyée sur des documents d'époque, des photos, jusqu'à une touchante marguerite séchée depuis quatre-vingts ans entre les pages des papiers laissés par Manuel Mena.

Pour clore cette quête essentielle pour un auteur manifestement hanté par son oncle, nous nous rendons à Bot, petite ville où Manuel Mena mourut d'une blessure qu'on n'a pas pu soigner, ni opérer en temps utile. Et l'auteur semble enfin apaisé, bouclant un parcours douloureux dont le livre est la concrétisation, avec ce qu'il présuppose de conséquences pour la famille.

Comme toujours, on apprécie la sincérité de l'auteur, son souci de dissocier auteur et narrateur selon les moments de l'écriture, son souci de restituer scrupuleusement les faits, appuyés sur des entretiens avec des « anciens », puis des descendants d'anciens, jusqu'à peut-être ne plus être aussi fiable. Là, le littérateur prend la relève, dit-il. Et c'est ce qui me gêne : aucune bibliographie, des références minimes, invérifiables.

Ce qui me gêne aussi, ce sont ces deux procédés de style répétitifs jusqu'à l'indigestion : l'accumulation basée sur des dizaines de « et » très indigestes ; et la prétérition répétée : tout ce que je ne dirai pas mais que vous lisez sous ma plume. C'est long, pesant, indigeste.

Il n'en reste pas moins que ce livre est une mine d'informations, une démarche intelligente, honnête et courageuse pour raconter ce que fut réellement ce héros de 19 ans mort pour un idéal auquel il avait fini par ne plus croire, ce héros qui n'avait pas fait le bon choix en 1937.
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