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Critique de Lamifranz


« Entre chiens et loups » est un livre les plus denses de Gilbert Cesbron. Injustement méconnu au profit d'autres titres, pleinement justifiés, d'ailleurs, il mérite d'être remis en lumière, non seulement pour la multiplicité de ses thèmes, d'une portée universelle et de toutes les époques, mais également pour la résonnance toute actuelle qu'il révèle.
Gilbert Cesbron est un homme de son temps. Il a pris comme ligne de vie la devise de Térence dans son « Heautontimorumenos » : « Homo sum ; humani nihil a me alienum puto » (Je suis un homme ; j'estime que rien d'humain ne m'est étranger). Les grands et les petits malheurs de son époque trouvent un écho chez lui, et lui, se voulant à la fois témoin et d'une certaine façon penseur (mais pas donneur de leçons), il nous fait partager ses joies et ses peines, ses espoirs et ses déceptions – qui sont aussi les nôtres.
En 1962, date où ce livre sort en librairie, la France et l'Algérie viennent de signer, en mars, les accords d'Evian, qui mettent fin à huit ans de conflit armé (et bien plus de guerres intestines). C'est dire si ce thème, qui est largement évoqué dans le roman, est prégnant dans l'esprit des lecteurs. Mais il est loin d'être le seul.
« Entre chiens et loups » (qui sont les « chiens » ? qui sont les « loups » ?) raconte l'histoire de Roland Guérin. C'est un professeur (de français) lambda, pas plus courageux ni plus lâche que les autres, mais qui se pose des questions sur tout un tas de choses, et notamment celle-ci : qu'est-ce que le vrai courage ? Il est vrai qu'il est le fils du commandant Guérin, un héros de guerre (on pense à « La Tradition Fontquernie »),et que son copain Georges a, lui, fait « le bon choix » en devenant officier de carrière. Mais Roland, dans sa nature profonde est un non-violent. Longtemps, dans l'anonymat, il a écrit des pamphlets antimilitaristes. Et puis un jour, il prend conscience que les motivations sont aussi recevables (ou irrecevables) des deux côtés. Il s'engage, et découvre alors le côté obscur de la guerre (sang, mort, torture, fin de l'innocence et massacre des innocents). Revenu en France et dans son lycée, il est toujours non-violent, et toujours dans le doute. C'est au cours d'une manifestation où figurent Algériens et Français qu'il va enfin faire face à son destin.
Voici un roman bouleversant. Il n'est pas le premier, Gilbert Cesbron nous a habitués depuis longtemps à partager l'univers de ses héros, à la fois banal, quelquefois comique, souvent tragique, dans lequel nous nous reconnaissons très souvent, soit que nous avons eu la même pensée, soit que nous avons vécus des évènements similaires, personnellement ou par personne interposée. Les questions que se posent Roland ne sont pas politiques, mais plutôt existentielles, elles tiennent simplement à la nature humaine : comment fait-on pour vivre quand on est celui qu'on est, pas celui qu'on voudrait être, ni celui que les autres voudraient qu'on soit. Parmi les thèmes abordés, en plus de la guerre et de ses horreurs, l'engagement peut être cité, le sens patriotique, tout ce qui fait qu'on peut, ou qu'on doit, « prendre parti ». Mais à mon avis, les deux thèmes majeurs qui sont évoqués sont le courage (qu'est-ce que le vrai courage ?) et surtout la violence, avec son corollaire la non-violence.
Ce qui fait de ce livre un livre d'actualité, c'est aussi ce fait qu'un homme ou une femme puisse clairement exprimer ses idées sans être mis dans la ligne de mire de la société (et pas seulement par les opposants à ses idées). Roland Guérin est un professeur qui ne sort de son rang que pour exprimer un point de vue humaniste et fraternel. Gilbert Cesbron aurait pu en faire un modèle chrétien (lui-même est un catholique convaincu), il en fait un modèle civil et surtout humain.
Pour tout ça, merci, monsieur Cesbron. Vous êtes un grand monsieur et un grand écrivain.
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