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Critique de Bibalice


Le titre s'étale en rouge sang sur le blanc immaculé de la couverture. On se doute, déjà, que cela ne finira probablement pas très bien, que la neige emportera tout sur son passage.
L'histoire tient en une ligne : un homme et son chien avancent avec grande peine quelque part dans le Grand Nord. Au nord, au sud, à l'est, à l'ouest, des kilomètres de neige d'où s'élèvent parfois quelques arbres uniquement représentés ici que comme des ombres menaçantes.

L'homme n'est pas perdu mais le parcours est incertain. Et surtout il fait froid. Très froid.
C'est que l'homme est vaniteux. C'est un guerrier, un aventurier à la recherche d'or et de réponses. Il a le corps résistant et compte bien rejoindre ses compagnons qui l'attendent plus loin comme il entend prouver sa force et son courage. le froid est un douleur dont on peut faire abstraction. Il suffit d'avancer.

Alors, il avance, jambes engourdies mais front relevé sous sa capuche de fortune, suivi de près par un chien dont le pelage se confond avec la neige qui l'entoure. Il a, lui, le museau bas malgré son pelage polaire et son habitude des basses températures. Un chien, ça suit son maître. Quoi qu'il en coûte. Même si lui en sait le prix…

Alors je n'ai pas (encore) lu la nouvelle de Jack London d'où est tirée cette bande dessinée de Chabouté. Je ne sais pas quel sens voulait donner London à cette histoire et me garderai donc de juger de la fidélité de la bd à l'égard de l'oeuvre originale, même s'il n'est pas improbable qu'un prochain billet lui soit consacré…Pas tant pour une quelconque passion pour le thème connu et même usé de l'homme contre la nature (je n'ai pas tellement aimé, voyez-vous, le pourtant très apprécié Into the Wild) mais parce qu'après le silence imposé par cette version, la voir sous l'angle de la plume riche de London peut être un exercice intéressant (que l'on propose d'ailleurs ici, dans le forum de Babelio).

A la plume de London, on a préféré s'intéresser d'abord au crayon de Chabouté. Inutile de revenir trop longtemps sur ce point, le dessin est superbe. On sent vivre cette contrée sauvage, on la sent respirer. On grelotte en même temps que le personnage et l'on craint comme lui de tomber dans une embûche en forme de cours d'eau ou de fausse-piste. le blanc comme le noir sont travaillés à la perfection. Il s'agit d'un blanc éminemment profond, d'un noir terriblement menaçant et au milieu de tout ça uniquement d'un homme, tout de gris vêtu. Imaginez un peu alors le sentiment de joie retrouvée quand soudainement jaillit le rouge d'une maigre flamme…

La réussite de ce bande dessinée ne vient pourtant pas tant du dessin que d'un élément qui fait de Chabouté un véritable auteur : la voix-off; cette voix qui flotte entre les pages.

J'ai lu ailleurs que la présence de ce texte dérangeait certains lecteurs qui auraient préféré un silence absolu. Question d'audace de l'auteur et d'originalité de l'oeuvre. Il est possible que sans celle-ci l'ouvrage aurait effectivement gagné en originalité mais pour perdre certainement, je pense, en profondeur. J'ai ressenti la même chose en lisant ces phrases écrites à la deuxième personne qu'en écoutant Avalanche, la terrible chanson de Leonard Cohen qui comporte de nombreux points commun avec Construire un feu et dont je vous invite vivement à lire les paroles, reproduites ci-dessous. Tout comme dans la bd de Chabouté, il est question d'une âme qui se confond avec un monstre vêtu de son manteau de neige. On ne sait plus qui est le « je » ou le « tu » en question :

« Well I stepped into an avalanche,
it covered up my soul;
when I am not this hunchback that you see,
I sleep beneath the golden hill.
You who wish to conquer pain,
you must learn, learn to serve me well.

You strike my side by accident
as you go down for your gold.
The cripple here that you clothe and feed
is neither starved nor cold;
he does not ask for your company,
not at the centre, the centre of the world… »

Ce qui, si l'on s'en tient à la sublime version de Jean-Louis Murat, donne à peu près ceci en français, :

« J'ai été pris dans l'avalanche
J'y ai perdu mon âme
Quand je ne suis plus ce monstre qui te fascine
Je vis sous l'or des collines
Toi qui veux vaincre la douleur
Tu dois apprendre à me servir

Le hasard t'a conduit vers moi
Pauvre chercheur d'or
Mais ce monstre que tu as recueilli
Ignore la faim ignore le froid
Il ne recherche pas ta compagnie
Même ici au coeur du monde… »

Je parie que Chabouté a lui aussi, comme Murat et comme d'autres, été secoué par cette chanson et a utilisé un peu de ses ingrédients dans son histoire. On ne sait jamais vraiment à qui cette voix appartient. Elle rythme idéalement le récit et ne masque nullement le silence pesant des lieux. Page 32, alors que le personnage crie pour réveiller son chien, aucun bruit, aucun son, aucune bulle ne sort ni n'apparait dans la case. le texte qu'on lit n'est pas tout à fait, est-on ainsi prévenu, la voix du personnage. le texte est un accès distancié à ses pensées. Si l'homme semble arrogant, la voix se veut méfiante, pafois distante ; s'il semble se perdre elle redevient rassurante. A moins bien sûr qu'elle ne soit neutre et que le lecteur ne l'interprète selon la façon dont il juge les actions et la destinée de l'homme. Car c'est bien de cela dont il s'agit au final, du jugement de cet homme. Et cette voix en est l'écho. Est-ce lui-même le juge, ces contrées sauvages, ou le lecteur ? probablement un peu des trois. N'oublions pas que cet homme là est venu se mesurer à plus fort que lui : « Ces vieux ne sont que des femmelettes… Il suffit tout bonnement de ne pas perdre la tête… un homme… un vrai !… peut voyager seul dans le Klondike… » (p.44) Cette phrase prend tout son sens quelques secondes, quelques pages plus tard quand survient un évènement dont nous ne dirons mot mais qui scellera la destinée du personnage…

Magnifique bande-dessinée, en somme, que cette adaptation de Construire un feu. L'approche du thème en bande dessine de l'homme contre la nature est magnifiée par une écriture sublime et un coup de crayon tout à fait convaincant.
Lien : http://beatcafeclub.com/blog..
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