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Critique de Tachan


Avec sa couverture plus riche, plus profonde et plus sombre, S.A. Chakraborty semble nous faire de belles promesses quant à cet ultime volume d'une saga dont le décor arabique a su pleinement me convaincre mais où j'ai beaucoup plus de bémols sur la forme prise par la plume de l'autrice. Il en sera de même pour ce dernier tome.

J'ai à nouveau pris un vif plaisir à suivre les nouvelles aventures de Nahri et Ali qui ont fui la cité millénaire des djins et autres créatures magiques pour se réfugier au Caire tandis que leur grande ennemie tragique Manizheh y a pris le pouvoir. C'était touchant de leur voir tenter de reconstruire quelque chose malgré les souvenirs qui les hantent puis de se rendre compte qu'ils ne pouvaient tourner la page ainsi, et passionnant ensuite de les voir partir à l'aventure pour y retourner. L'autrice sait raconter ce genre d'aventure en y insufflant rythme et graines de suspense. Elle nous fait ainsi bien voyager dans le Caire XIXe-XXe de son imagination avec des relents de colonisation occidentale et elle tente de nous toucher avec les sentiments qui tenaillent ses héros. Ce sont souvent de belles histoires de femmes ordinaires : femmes, mères, soeurs, épouses… Elle en fait de même de l'autre côté du voile, dévoilant un Dara de plus en plus nuancé et intéressant – mon coup de coeur ! ❤ – contrairement à Manizheh dont la caractérisation me déçoit un peu, je l'avoue, justement par son grand manichéisme en dépit de ce qui avait été écrit avant.

Le cadre oriental est toujours aussi parfaitement réussi, grâce aux multiples descriptions de l'autrice quant aux décors, tenues, lieux, ambiances, us et coutumes. C'est vraiment un régal et c'est en plus très immersif sous sa plume. On voyage vraiment à travers bateau et sable avec nos héros. On rencontre vraiment ces drôles de créatures que sont les marids et les goules. Les pouvoirs de nos héros se développent et nous frappent par leur dimension tragique très inspirée de la philosophie orientale, notamment sur le devenir des âmes. L'autrice a un donc pour incarner ses univers et nous les donner à visualiser ensuite. C'est magique et totalement dépaysant pour quelqu'un comme moi qui en a peu rencontré avant.

Le développement de l'histoire, lui, répond pas mal aux attentes des lecteurs habitués à ce type de récit. Quand on a lu un peu de fantasy Y.A./NEw Adult (N.A), on voit et devine parfaitement où l'autrice nous conduit et quelles étapes attendent nos héros. Mais ce n'est pas désagréable car il y a du rythme, du dépaysement et de l'action. On prend donc un réel plaisir à vivre ces aventures de reconquête et de libération à leurs côtés, sur fond de lutte collective pour un futur meilleur tous ensemble, malgré les obstacles d'années et années de ségrégations et racisme de chaque côté. Ce sont de belles valeurs et l'héroïne incarne à merveille ces ambitions avec son double héritage. Elle fait en plus de belles rencontres au cours du tome. J'ai particulièrement aimé son duo avec son frère, Jamshid, qui fut l'une de mes révélations ici. J'ai donc pris plaisir à suivre la destinée de chacun et leurs choix souvent cornéliens pour eux.

Cependant, il me faut aussi parler des points faibles de la série et ils ne sont pas négligeables… Je suis plus que réservée quant à l'écriture des personnages, qui, pour beaucoup, ont perdu en force dans ce volet à mes yeux, à de rares exceptions. J'ai eu l'impression qu'on me les rajeunissait et rendait plus « adolescents », alors que les épreuves vécues auraient dû les rendre plus matures et plus sombres. Je n'ai pas accroché. Ainsi la « romance » entre Ali et Nahri prend trop de place et m'a trop souvent fait lever les yeux au ciel par sa naïveté assez ridicule ici vu l'ambiance générale du récit, ça ne colle pas pour moi en terme de maturité et je les trouve ennuyeux là où j'avais beaucoup aimé la sensiblité de leur écriture avant. Je n'ai pas compris. Je trouve aussi qu'en général, malgré le GRAND nombre de pages du récit, au final, le seul personnage dont la psyché est développée, approfondie, est Dara. Les autres sont tous survolés au mieux, caricaturaux au pire. C'est flagrant dans ce dernier tome surtout porté sur l'action et c'est un grand manque, notamment avec une antagoniste comme Manizheh dont le ressentiment ne repose pas juste sur son désir d'être « méchante », ce qu'on a tendance à oublier ici vu comment elle est présentée. J'aime le divertissement, j'aime les beaux décors mais j'aime encore plus les personnages bien écrits et profonds, ici, je n'ai eu que des archétypes rapidement brossés dans ce dernier tome, alors que les situations étaient propices à plus au vu de ce qu'ils vivaient. L'autrice est passée à côté de quelque chose. En plus, son histoire était extrêmement prévisible et peut-être un peu trop « gentille » dans son dénouement, comme si le happy-end était obligatoire. J'aimerais un jour que les auteurs assument leur noirceur jusqu'au bout et rendent des conclusions plus nuancées.

Comme lors des autres tomes, je ne peux que saluer le bon divertissement entraînant imaginé par l'autrice dans un univers arabique trop peu croisé chez les grands éditeurs. Je reste cependant énormément sur ma faim au vu du potentiel de l'univers et de ce qui en est fait. Des personnages à l'écriture trop superficielle me gâchent un peu mon plaisir, alors que leur magie, leur bestiaire magique, leurs problématiques raciales et tant d'autres sujets m'ont plu. J'attendais et surtout voulais plus, mais j'ai l'impression d'avoir toujours le même schéma et le même manque d'approfondissement dans nombre de Y.A et New Adult publiés chez nous. C'est peut-être moi qui fais une fixette mais il y a quand même un schéma qui se dégage. Bref, je vous réinvite à vous tourner vers des auteurs à la plume plus assurée comme P. Djèli Clark pour le côté arabe, Robert Jackson Bennett ou Sanderson pour le worldbuiding et son exploitation, ou Robin Hobb pour le développement des personnages. Il y aurait des leçons à prendre.
Lien : https://lesblablasdetachan.w..
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