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Critique de encoredunoir


Le temps est venu d'aborder le désormais traditionnel roman annuel de Laurent Chalumeau. On avait commencé à s'habituer aux intrigues éclatées entre différents points de vue et aux dialogues à bâtons rompus des personnages, comme dans Kif ou VIP. Rien de cela, ou plutôt rien tout à fait comme cela dans VNR.
De fait un monologue en trois actes que propose l'auteur. Trois actes pour autant de victimes d'un narrateur bien décidé à expliquer à chacune d'entre elles pourquoi il entend la faire passer de vie à trépas, de préférence en souffrant bien. Alain, en effet, en a gros sur la patate. Marchand de matériel audiovisuel dans une ville industrielle en déclin, il a perdu son travail – et à plus de cinquante ans, il doute de pouvoir en retrouver facilement – et sa femme, et gagné le mépris de ses enfants. « C'est quoi précisément le moment où ça a commencé à merder ? » se demande Alain. Question toute rhétorique dont il a tout de même quelque idée de la réponse et qui en amène une autre : la faute à qui ? Là aussi, Alain a son idée. Et ce sont trois des responsables désignés par lui qui vont se succéder ligotés à une chaise et bâillonnés : le chef de service qui a harcelé Véro, la femme d'Alain, l'homme politique qui n'a rien fait pour empêcher la délocalisation de l'usine qui a entraîné la ville dans le marasme et, par rebond, amené au licenciement d'Alain, la psychologue enfin qui s'est occupée de suivre Véro, entraînant la dislocation du couple au corps défendant d'Alain.
Changement de forme, donc, et aussi, subtil changement de fond pour Laurent Chalumeau. Si dans les précédents romans, l'humour, à travers des situations basées souvent sur le quiproquo et un certain burlesque confinant parfois presque au cartoon, était un des moteurs principaux et permettait par ailleurs de parler en creux de notre société et de certaines de ses dérives, il passe ici au second plan. S'il ne disparaît pas totalement et est même très présent dans l'ironie mordante de certaines parties du monologue d'Alain, il laisse la place à un propos plus âpre. Car c'est bien le récit d'une chute, d'un déclassement social et de l'inéluctable perte par le narrateur de tout ce qui faisait de lui – pour lui – un homme heureux à sa manière.
Tout cela pourrait avoir un côté cathartique. Pour Alain, bien entendu, mais aussi pour le lecteur. VNR pourrait aisément passer, si l'on s'en tient au résumé, pour une forme d'exutoire ou pour un plaidoyer de l'auteur. C'est bien plus malin que ça. Il va de soi que l'on peut difficilement éprouver une quelconque sympathie pour l'homme qui a harcelé et psychologiquement détruit Véro et que l'homme politique – sorte de sosie d'Arnaud Montebourg – n'inspire pas forcément beaucoup de pitié. Pour autant, victime et bourreau, Alain est aussi un personnage ambigu. Cette ambigüité tient bien sûr aux actes qu'il commet là, mais aussi à ce qu'il révèle petit à petit de sa propre personnalité. Si les trois personnes qu'il entreprend de faire payer pour sa chute ont certainement leur part de responsabilité, lui-même n'est pas étranger à ce qui lui arrive, particulièrement en ce qui concerne son couple. Alain n'est pas un salaud, ou du moins n'a-t-il pas l'impression dans être un, pas plus que beaucoup d'entre nous en tout cas. Il est un produit de son époque et n'a certainement pas fait grand-chose pour essayer de devenir autre chose. Il s'en rend peu à peu compte, sans doute trop tard.
Tout cela, Laurent Chalumeau le fait passer à travers un travail remarquable sur la langue. Il réussit là le tour de force de faire parler Alain comme un homme ordinaire, évitant l'écueil qui consisterait à mettre dans la bouche de son personnage un pseudo-argot à la Audiard dans une version contemporaine ou, à l'inverse, à lui prêter un langage trop élaboré. C'est ce qui fait de VNR le roman très accrocheur qu'il est et qui lui permet justement de dépasser le simple exutoire pour devenir, sous le couvert du divertissement, un véritable roman social et un instantané révélateur de notre époque.


Lien : http://www.encoredunoir.com/..
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