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Critique de JustAWord


Les entreprises ambitieuses en fantasy francophone se comptent sur les doigts d'une main et le cycle de la Tour de Garde y figure en bonne position. Entrelaçant deux trilogies de romans écrits par Guillaume Chamanadjian et Claire Duvivier, la saga nous emmène dans deux capitales d'un monde aussi riche que mystérieux.
Après le Sang de la Cité, voici que Nohamux de la Caouane nous revient dans Trois Lucioles alors que Gemina semble sur le point d'imploser…

Sur de bonnes bases
Nous avions laissé Gemina en bien piteux état et ce qui est certain dès les premières pages de Trois Lucioles, c'est que les choses vont aller de mal en pis. Après l'assassinat de la fille du duc de l'Hirondelle et la destruction de l'Olivier mythique de la Cité au cours d'une bataille aussi brève que brutale, Gemina panse ses plaies. Entre les maisons du Port et celles du Massif, la rupture est consommée et le duc Servaint, hier en position de force, compte ses alliés en espérant survivre à la guerre civile qui s'annonce.
De son côté, Nox est devenu le seul gérant de l'enseigne du Saint-Vivant aidé de ses fidèles commis et par la flatteuse réputation acquise au fil des ans par l'épicerie. Il semble pourtant que le temps du vin et des pâtisseries est bel et bien révolu pour le fils adoptif du duc de la Caouane puisque tout le monde souhaite l'utiliser afin de raccourcir Servaint et de s'emparer de la Maison de la Tortue. Ajoutons à cela que Symètre, l'amie de Nox, est dans le viseur de la Recluse depuis qu'il a dévoilé des talents insensés pour modeler la pierre, et voilà notre héros dans de sales draps !
Guillaume Chamanadjian repart donc sur les chapeaux de roue dès les premières pages en poursuivant son intrigue politique à la Game of Thrones autour des maisons ducales de Gemina.
Cette fois, les choses sont en place et tout semble aller plus vite. de même, le français peut d'emblée ouvrir son intrigue principale vers des personnages jusque là peu voire pas exploité comme Iolana, la duchesse des Oreillards, et la puissante maison du Magot. Préparant le terrain pour un nouveau petit jeu de massacre, Guillaume Chamanadjian n'en oublie pas de creuser la psychologie de Nohamux, désormais tiraillé entre la colère qu'il éprouve envers Servaint et sa loyauté à la Maison de la Tortue.
Faut-il séparer ses sentiments de ses intérêts politiques ?
En voilà une bonne question !
Mais ce qui va faire tout le sel de ce volume, c'est l'exploitation à plein régime du motif récurrent de la dualité déjà entrevu dans le Sang de la Cité.

Deux visages, deux mondes
En effet, Gemina est dès le départ une Cité double.
Une cité fondée sur le mythe de deux soeurs jumelles métamorphosées en oliviers légendaires, scindée entre les maisons du Massif et celles du Port.
Une histoire qui se répète avec les deux Suçeurs d'Os (Nohamux et Daphné), deux faces d'une même pièce qui sèment le chaos là où elle tinte.
Et puis bien sûr le Nihilo, cette face obscure, magique, dangereuse, surréelle de Gemina que Nox commence à connaître comme sa poche et qui lui permet d'avoir une vision complètement différente de la Cité.
Enfin, voici qu'un navire qui brûle à l'extérieur du Port révèle ce que Gemina n'a pas voulu voir jusque là : que le monde extérieur existe et qu'elle devra composer avec, qu'elle le veuille ou pas.
On dit souvent que la littérature de l'imaginaire est une littérature d'évasion mais c'est bien vite oublier qu'elle a aussi une forte tendance à refléter les préoccupations de notre époque.
Trois Lucioles ne fait pas exception puisque Guillaume Chamanadjian installe dès les premières pages un sous-texte sur la guerre et la migration des peuples qu'elle entraîne, sur ces réfugiés, ces « migrants » qui s'échouent sur les côtes d'un pays bien plus riche mais qui refuse de les acceuillir et prefère les laisser mourir en dehors de ses puissants remparts.
Le personnage d'Adelis, jeune Levantine courageuse et émouvante, sera l'un des piliers de ce second opus, comme une métaphore de notre époque triste où l'on meure dans l'indifférence des riches mais aussi une image de l'humanité qui fuit la guerre, la famine et la maladie. Sa relation avec Nohamux, aussi belle que cruelle, aura une immense influence sur notre héros. Elle lui révèlera le sens plein et entier du sacrifice et du don de soi.
Efficace et remarquablement fluide, la narration de Guillaume Chamanadjian sait encore une fois magnifier sa Cité tout en nous faisant découvrir d'autres choses. La magie de l'envers-monde et une nouvelle maison sinistre, un Entre-Deux-Murs où tout semble de nouveau possible, la fin de l'innocence pour un jeune garçon qu'on oblige à choisir encore et encore. Si l'on peut regretter la propension à utiliser le deus ex machina du Nihilo un peu trop souvent, il faut admettre que ce sont avant tout les choix moraux de Nohamux qui font avancer l'histoire.
C'est de lui finalement que viendra le choix ultime d'ôter la vie, entraînant dans son sillage cette question cruciale : est-on finalement maître de son destin ou celui-ci trouve-t-il toujours son chemin pour bouleverser nos vies ?

Plus maîtrisé que son prédécesseur, plus dense et plus cruel également, Trois Lucioles offre non seulement la suite d'une intrigue politique passionnante mais parvient également à élargir son horizon et ses ambitions. Ce qui est sûr, c'est que l'on attend la suite avec une impatience redoublée !
Lien : https://justaword.fr/capital..
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