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Critique de karmax211


J'ai un peu de temps, je vais l'utiliser pour vous dire quelques mots sur mon livre de chevet en poésie.
Tout d'abord la forme. Il est écorché vif, écorné, scotché, rafistolé, cautérisé... mais il est toujours gaillard, alerte et prêt à vous offrir à tout instant le meilleur de lui-même... il ne me quitte jamais.
Le fond... je crois qu'en préambule, je vais faire appel à deux spécialistes qui vont vous, nous permettre de régler ( une fois pour toutes ? ) "l'hermétisme" supposé de René char.
Voici ce que dit Valéry à propos de ce que beaucoup s'échinent à vouloir arracher au poème en général :
- “Mes vers ont le sens qu'on leur prête. Celui que je leur donne ne s'ajuste qu'à moi, et n'est opposable à personne. C'est une erreur contraire à la nature de la poésie, et qui lui serait mortelle même, que de prétendre qu'à tout poème correspond un sens véritable, unique, et conforme ou identique à quelque pensée de l'auteur.“
Cette pirouette malicieuse du poète de - Les pas -... "Tes pas enfants de mon silence, Saintement, lentement placés, Vers le lit de ma vigilance, Procèdent muets et glacés...", doivent commencer à "désinhiber certains d'entre vous, d'entre nous.
En seconde instance, ces mots très explicites de Claire Placial :
-"Le billet d'hier avait pour vocation de dire, au fond, une chose: que face à l'oeuvre poétique de Char – du moins Fureur et mystère, la meilleure chose à faire pour « rentrer dedans » est d'abandonner la prétention à tout comprendre. Par tout comprendre, j'entends « tout comprendre du livre de A à Z », mais aussi, voire surtout, « tout comprendre de chaque unité, de chaque mot et groupe de mot ».
Pour reprendre une métaphore fréquente, la meilleure chose à faire en lisant Char n'est pas de lutter contre le courant, mais plutôt de se laisser porter – il y a fort à parier qu'à la fin de la dérive on aura, sans s'en rendre compte, été suffisamment imprégné pour que les choses décantent."
J'ajouterai que René Char est un enfant du Surréalisme... un enfant "prodige"... ceci expliquant (en partie) cela.
Ce procès en je-ne-comprends-pas, en mais-qu'est-ce-qu'il-a-voulu-dire, s'il n'est pas un mauvais procès est en revanche un faux procès.
Ferez-vous le même reproche à Mallarmé lorsqu'il écrit ses vers sublimes..
-"Ses purs ongles très haut dédiant leur onyx, L'angoisse, ce minuit, soutient, lampadophore, Maint rêve vespéral brulé par le Phénix, Que ne recueille pas de cinéraire amphore. Sur les crédences au salon vide : nul ptyx, Aboli bibelot d'inanité sonore..."
Blâmez-vous Éluard pour ses vers devenus une référence poétique incontournable :
-La terre est bleue comme une orange, Jamais une erreur les mots ne mentent pas, Ils ne vous donnent plus à chanter... Les guêpes fleurissent vert, L'aube se passe autour du cou, Un collier de fenêtres..."
Ou bien T.S Eliot ... :
-"Quelles racines s'agrippent, quelles branches croissent parmi les rocailleux débris. Ô fils de l'homme, tu ne peux le dire ni le deviner, ne connaissant qu'un amas d'images brisées sur lesquelles frappe le soleil..."
Et un peu de Dylan Thomas.. :
-"Y eut-il un temps où les danseurs et leurs violons dans les cirques d'enfants pouvaient calmer leur chagrin. Il y eut un temps où ils pouvaient pleurer sur les livres. Mais le temps leur a lancé son asticot aux trousses..."
Je pourrais démultiplier (sourire) les exemples.
Alors lorsque le Capitaine Alexandre du réseau Action nous parle de la liberté, nul besoin d'analyse stylistique ( à moins de le vouloir ou de le devoir )... juste se laisser porter par les mots, qui sont autant de sens olfactif, auditif, tactile... juste veiller à rester ouvert aux sensations, aux émotions.
-"Elle est venue par cette ligne blanche pouvant tout aussi bien signifier l'issue de l'aube que le bougeoir du crépuscule... Prenait fin la renonciation à visage de lâche, la sainteté du mensonge, l'alcool du bourreau..."
Tout est dit. La guerre, la résistance et la liberté sont exprimées avec une force, un souffle qui me bouleversent.
Lorsque l'homme de la Provence nous parle de sa terre :
- "À flancs de côteaux du village bivouaquent des champs fournis de mimosas. À l'époque de la cueillette, il arrive que, loin de leur endroit, on fasse la rencontre extrêmement odorante d'une fille dont les bras se sont occupés durant la journée aux fragiles branches. Pareille à une lampe dont l'auréole de clarté serait de parfum, elle s'en va le dos tourné au soleil couchant. Il serait sacrilège de lui adresser la parole. L'espadrille foulant l'herbe, cédez-lui le pas du chemin. Peut-être aurez-vous la chance de distinguer sur ses lèvres la chimère de l'humidité de la nuit ?
Vous voyagez ? Vous y êtes ? Pas encore ? Alors, écoutez... :
-"Le peuple des près m'enchante. Sa beauté frêle et dépourvue de venin, je ne me lasse pas de me la réciter. le campagnol, la taupe, sombres enfants perdus dans la chimère de l'herbe, l'orvet, fils du verre, le grillon, moutonnier comme pas un, la sauterelle qui claque et compte son linge, le papillon qui simule l'ivresse et agace les fleurs de ses hoquets silencieux, les fourmis assagies par la grande étendue verte, et immédiatement au-dessus les météores hirondelles. Prairie, vous êtes le boîtier du jour."
Les mots de Char sont tout aussi accessibles à tous les coeurs, à toutes les âmes lorsqu'il évoque l'amour... :
-"Dans les rues de la ville il y a mon amour. Peu importe où il va dans le temps divisé. Il n'est plus mon amour, chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus qui au juste l'aima ? .... Je vis au fond de lui comme une épave heureuse...."
-"L'été chantait sur son roc préféré quand tu m'es apparue, l'été chantait à l'écart de nous qui étions silence, sympathie, liberté triste, mer plus encore que la mer dont la longue pelle bleue s'amusait à nos pieds... Je t'aimais en mon absence de visage et mon vide de bonheur. Je t'aimais, changeant en tout, fidèle à toi."
-" L'été et notre vie étions d'un seul tenant, La campagne mangeait la couleur de ta jupe odorante...Notre rareté commençait un règne..."
-"Avant de te connaître je mangeais et j'avais faim, je buvais et j'avais soif, bien et mal m'indifféraient..."
-"Mon amour, peu importe que je sois né : tu deviens visible à la place où je disparais."
-"Sur une route de lavande et de vin, nous avons marché côte à côte dans un cadre enfantin de poussière, à gosier de ronces, l'un se sachant aimé de l'autre."
Char embrasse l'universel, et si ce recueil est souvent appréhendé à travers le prisme du résistant, il aborde beaucoup plus de thèmes.
J'en veux pour preuve ces mots célèbres que vous allez tous reconnaître :
-"La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil."
-"Les mots qui vont surgir savent de nous des choses que nous ignorons d'eux."
-"Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience."
Pour terminer ce mini tour d'horizon de ma bible poétique, quatre "citations" que j'aime tout particulièrement :
-"j'ai, captif, épousé le ralenti du lierre à l'assaut de la pierre d'éternité."
-"J'aime cet enfant qui se penche sur l'écriture du soleil, puis s'enfuit vers l'école, balayant de son coquelicot pensums et récompenses."
-"Il en va de certaines femmes comme des vagues de la mer. En s'élançant de toute leur jeunesse, elles franchissent un rocher trop élevé pour leur retour. Cette flaque désormais croupira là, prisonnière, belle par éclairs, à cause des cristaux de sel qu'elle renferme et qui lentement se substituent à son vivant."
-"L'homme est capable de faire ce qu'il est incapable d'imaginer. Sa tête sillonne la galaxie de l'absurde."
Voilà, j'ai essayé de vous parler, maladroitement je le sais, de celui que je considère comme l'un des plus grands poètes du XXème siècle.
Lisez-le... en vous laissant porter par la beauté de la langue, une langue qui n'appartient qu'à lui, reconnaissable entre toutes et dont la magie opère de plus en plus au fur et à mesure "que vous lui laissez le soin de dénouer vos orages avec docilité."
PS : je vous demande un peu d'indulgence concernant l'orthographe et la ponctuation. Sans forfanterie aucune, tous les extraits choisis de poésies l'ont été de mémoire.






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