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Critique de berni_29


« Désormais, je parlerai toutes les nuits.
À moi-même. À la lune. Je marcherai,
comme je l'ai fait ce soir, jalouse de ma
solitude, dans le bleu argenté de la lune glaciale,
qui miroite sur les congères de neige
fraîche en renvoyant des milliers d'étincelles. »

Sylvia Plath, Carnets intimes

C'est en 1996, au détour d'une de leurs escapades nocturnes dans les bois de Lake Placid qu'une jeune fille à peine adolescente, Elizabeth, et son ami Parker font une étrange rencontre, celle d'une dame écarlate surgie de la nuit, surgie de nulle part... Non, je ne vais pas vous évoquer ma lecture récente d'un thriller, ni celle d'un roman horrifique, tout juste une ballade onirique entre rêves et réalité...
La jeune fille va grandir dans cette vision fondatrice pour elle, découvrir son don pour la musique et la poésie, y puiser l'inspiration d'un vertige qui sera sa quête mélancolique et douloureuse.
Quoiqu'on en dise, c'est peut-être cette nuit-là qu'Elizabeth Grant s'est métamorphosée comme une phalène, devenant ainsi la future Lana del Rey.
La jeune artiste va connaître rapidement une carrière éblouissante, parfois entremêlée de démons et de doutes, tentant de sortir des clichés que l'on a voulu lui accoler, entre l'image d'une biche égarée et celle d'une femme fatale...
Vibrante, passionnée, ingénue, trop naïve encore, elle avance sous la lumière des projecteurs, dans ce physique qu'elle n'assume pas vraiment, mais ses mots déjà la dévorent de l'intérieur...
En 2019, Lana del Rey rêve d'approcher son idole, Joan Baez, la mythique reine du folk qui vit désormais retirée dans sa ferme au coeur de la forêt californienne, où elle a troqué sa guitare contre une palette de couleurs, des pinceaux et un chevalet, elle peint des paysages, des animaux, les portraits des siens...
Dans ces chapitres qui alternent entre le temps qui se rapproche et celui déjà de 2019, Californie, Marie Charrel nous raconte l'itinéraire parfois chaotique, parfois trash de celle peu à peu devenue Lana del Rey. Je la découvre, j'apprends à la connaître. Ses chansons expriment le grand rêve américain abîmé, ses amours compliquées, le spleen, les addictions, le noir... Lana del Rey est-elle poétesse avant que d'être chanteuse ? Ses chansons sont des odes à la douleur exquise de s'accrocher à une illusion du bonheur.
Inexorablement nous la voyons se rapprocher de cette ferme de Californie, comme les phalènes se rapprochent de la lumière, convaincre l'égérie du folk aux pieds nus de remonter sur scène peut-être une dernière fois et de le faire à l'occasion de son prochain concert de Berkeley, tiens, pourquoi pas.
Vous l'aurez compris, -enfin j'espère, La fille de Lake Placid est un récit envoûtant et poétique, construit autour de faits biographiques, la vie de la chanteuse Lana del Rey et sa rencontre improbable avec Joan Baez. Leurs chemins n'étaient pas faits a priori pour se rencontrer.
Leur toute première rencontre ne fut pas facile d'ailleurs, il leur a fallu s'approcher, s'affronter, s'apprivoiser. Plus que le choc de deux générations, elles n'ont peut-être pas forcément la même vision du monde, l'une fut la militante saltimbanque de tous les combats et elle sait que le plus important aujourd'hui, la sauvegarde de la planète, est déjà perdu d'avance. L'autre ne croit pas que la musique ait le pouvoir de changer le monde. Princesse pop-rock sensuelle, objet de tous les fantasmes, mélancolique et désabusée, elle a conscience déjà de vivre sur des ruines. Mais toutes deux sont éprises d'une folle liberté qui les fait tenir debout dans ce rêve américain impossible et brisé. Elles font s'unir comme deux soeurs.
Ce roman est un envoûtement poétique. C'est une ode à la grâce. C'est un hommage à deux grandes femmes, dans ce qu'elles ont de fragile et de puissant : Joan Baez et Lana del Ray.
C'est un livre dont on tire des phrases que l'on note sur un carnet à spirales pour l'emporter avec soi et les relire sur une plage devant l'océan.
C'est un livre qui nous mène vers d'autres rives, d'autres livres. C'est un livre qui rend la fiction perméable à la réalité.
Je me suis faufilé à travers les pages de ce livre, tel un passe-muraille, allant de l'univers de ce livre au mien, venant côtoyer ces deux artistes, l'une que j'ai vue sur scène en 1981 seule avec sa guitare devant 20000 spectateurs, l'autre que je découvre grâce à cette lecture.
Ce sont les rêves de deux femmes qui se teintent de lumière mais aussi de déception tandis que l'imaginaire est là, au détour des pages que j'effeuille avec jubilation.
Les pages sont aussi emplies de fantômes, Martin Luther King, Sylvia Plath, Amy Winehouse, Kurt Cobain, la dame écarlate...
Si le roman relate des faits biographiques, Marie Charrel a convié l'imaginaire dans ces pages brûlantes de sincérité.
En 2019, Lana del Rey et Joan Baez ont réellement chanté lors du concert de la jeune chanteuse à Berkeley cette fameuse chanson Diamonds and Rust écrite par Joan Baez et que celle-ci chanta longtemps aux cotés de Bob Dylan, son compagnon de route des premiers jours vagabonds.
Marie Charrel s'est nourrie aussi de l'univers de David Lynch pour bâtir l'intrigue qui tient ce récit, ce qui rend le texte furieusement envoûtant.
Tel un passe-muraille, j'allais et venais entre onirisme et réalité, jusqu'au moment inéluctable où je savais bien que je resterai figé dans un mur de papier, la tête en Amérique bercée par deux muses et les pieds vissés dans la fange du quotidien.
Écrire, chanter, peindre... Tout n'est peut-être qu'affaire de lumière, la manière de la recevoir, la manière de la donner à son tour..
Lumière, ombre... Ombre, lumière... Battre les paupières et saisir le monde ainsi, dans sa fragilité et sa puissance d'embrasement...

Ce livre de Marie Charrel, autrice dont je fais la connaissance ici, est l'occasion pour moi de découvrir cette maison d'éditions au nom si évocateur, Les Pérégrines. Je vous partage ici sa raison d'être qui fait écho à quelques unes des valeurs qui m'animent.
Les Pérégrines, c'est un mot au féminin pluriel pour évoquer nos féminismes un nom en hommage au roman éponyme de Jeanne Bourin, historienne, écrivaine, grand-mère et figure d'inspiration d'Aude Chevrillon, la directrice de la maison. Notre ambition: vous proposer un voyage intellectuel en publiant des textes toujours pertinents, souvent impertinents, qui, par des voix fortes et hardies, des plumes belles et singulières, observent le monde par différentes fenêtres, nous amènent à faire un pas de côté, nous poussent à mieux appréhender l'autre, l'étrangeté, la diversité, nous livrent des trajectoires inspirantes pour dessiner une société plus humaine.

Ce livre se pose dans une de leurs collections, qui s'intitule Les Audacieuses. Des écrivaines mettent leur univers romanesque au service d'une réécriture de la vie de leurs héroïnes. Oser la fiction pour faire jaillir toute l'indocilité de figures féminines inspirantes: tel est le pari des Audacieuses.

Et maintenant un quiz, devinez un peu à quel endroit j'ai eu l'idée d'emporter ce beau livre coup de coeur ?

♪♫ As I remember your eyes
Were bluer than robin's eggs ♪♫
My poetry was lousy you said
♪♫ Where are you calling from?
A booth in the midwest
Ten years ago ♪♫
I bought you some cufflinks
♪♫ You brought me something
We both know what memories can bring
They bring diamonds and rust ♪♫
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