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Critique de Lenocherdeslivres


Les Martiens de notre enfance existent. Ceux de Percival Lowell ou de Camille Flammarion qui imaginaient des canaux sur le rouge de leur planète. Et ils ont répondu aux Terriens. Pas par radio. Non. En dessinant sur la surface de Mars. D'où un échange avec ces voisins qui testent nos connaissances mathématiques. Interro écrite tous les deux ans. Jusqu'à ce que même Einstein lâche l'affaire, dépassé. Survient alors Crystal Singer.

Crystal Singer, qui donne son titre au roman, est au centre de l'intrigue. Mais, finalement, elle sera peu présente dans l'histoire. On suit plutôt Rick, son amoureux, conscient du génie de celle qu'il aime. Conscient aussi de sa capacité à se laisser embarquer dans le monde des chiffres et des abstractions. Même au détriment de sa propre santé, mentale comme physique. Même au détriment de sa propre existence. On suit Rick dans la première tentative de réponse aux Martiens une fois Einstein sur le carreau. Car, à ce moment-là, les humains ont quasiment baissé les bras et abandonné face à la complexité des formules proposées par nos voisins du système solaire. Or une jeune femme tout juste sortie de l'université, aidée de quatre amis brillants eux aussi, mais pas autant qu'elle, tente crânement sa chance. Dont Rick, qui gère toute la partie logistique tandis que Crystal imagine une réponse. Et ils vont graver, à leur tour, une formule, dans la peau du désert. Un message vers le ciel. Comment réagiront les Martiens ?

Et comment réagira Crystal ? Car, comme je le disais plus haut, ce roman est centré sur ce personnage attachant dans sa folie. Ou plutôt dans l'équilibre toujours précaire qui la caractérise : artiste glissant sur une corde tendue au-dessus d'un gouffre gigantesque, elle avance, les yeux fixés sur des symboles incompréhensibles de la plupart, sur des réalités qu'elle seule peut entrapercevoir. Elle pose ses pieds sans vraiment redouter la chute, incapable de l'appréhender telle qu'elle est. D'où la nécessité pour elle d'être entourée, protégée du quotidien bassement matériel comme des hauteurs de sa pensée, par une personne plus pragmatique, plus terre à terre. Qui est prête à sacrifier beaucoup pour être avec elle.

Mais Crystal s'échappe et abandonne Rick. Pour être plus concentrée sur le problème à résoudre dit-elle. Car Rick la déconcentre par sa présence. En effet, Crystal est une femme de chair et de sang. Avec des pulsions fortes et irrépressibles. Quand elle a des envies, elle les assouvit quels que soient le lieu, l'entourage. D'où quelques situations gênantes. On est loin de la romance éthérée ou plus intellectuelle, comme, pour parler de mes lectures récentes, de L'Odyssée des étoiles de Kim Bo-Young. Ou dans un autre style Légendes & Lattes de Travis Baldree. Crystal est une femme de sang et d'os. Bien vivante.

D'où le vide qui emplit Rick quand il finit par ne plus avoir de nouvelles. On est au milieu du XXe siècle : les communications se font par lettres. Et, si Rick écrit beaucoup, Crystal répond peu. de moins en moins. Plus du tout. le jeune homme finit par partir à sa recherche à travers le pays. Il voyage de piste en piste, d'individus ayant entretenu une relation épistolaire avec elle. Et il va découvrir beaucoup.

Un point qui m'a impressionné et marqué dans ce roman, c'est l'omniprésence de la route. Je sais bien que le récit s'intitule, en V.O., Singer Distance et que l'espace est au centre du récit. Mais la multiplication des trajets qu'effectue Rick est impressionnante. Et ce, d'autant qu'Ethan Chatagnier n'use que peu d'ellipse. Certes, il ne nous raconte pas les kilomètres (les milles plutôt) parcourus, mais il décrit avec un plaisir évident les paysages qui défilent et varient, les routes qui changent de taille et de densité de circulation, les ciels qui passent du jour à la nuit, avec des couleurs et des formes différentes. Ces évocations sont à ce point réussies, selon moi, qu'elles m'ont réellement donné envie de tout lâcher et de foncer jusqu'aux États-Unis, de louer une grosse bagnole (comme celle qu'aime tant notre président) et parcourir la route 66 si renommée. Et tant pis pour le bilan carbone et les dégâts imposés à la planète. À l'époque de Rick, tout cela n'est qu'un lointain futur, à peine en germe dans l'esprit de quelques-uns.

Rick est en lien presque charnel avec la terre. Il la regarde avec fascination et est à son écoute. Il faut voir comme il parle de son allée de gravier, de ce qu'elle représente, de ce qu'elle permet. Rien de mystique. Juste un sens du proche, du détail, du monde qui nous entoure. Et c'est la grande force, pour moi, de ce roman : il prend aux tripes tellement il nous fait ressentir les paysages, les êtres. le côté hard-science, les équations mathématiques ou autre ne sont que des toiles de fond, presque des MacGuffin. D'ailleurs, quand on les évoque, c'est leur mystère qui ressort. Elles permettent juste d'évoquer quelque chose de plus grand : notre place dans l'univers, notre capacité à aller jusqu'au bout de nos désirs. Mais on ne les comprend pas. Comme les dessins (superbes) qui servent de moyen de communication aux extra-terrestres du Premier contact de Denis Villeneuve (2016). Et là aussi, elles ne sont pas que ce que nous voyons au premier abord. Une autre dimension s'y cache.

Je ne sais pas si L'Affaire Crystal Singer m'a fait voyager dans les étoiles, mais ce roman m'a fait vivre intensément les distances pendant ses presque trois cents pages. Et il m'a donné l'impression de ressentir les éléments qui m'entourent autrement, comme à travers des sens amplifiés. de les vivre plus intensément. Et il m'a enfin offert une histoire d'amour forte et impressionnante de finesse, de retenue. Une superbe expérience de lecture.
Lien : https://lenocherdeslivres.wo..
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