William Blake

La fantaisie m’a souvent effleuré d’esquisser un parallèle entre les dogmes des hommes et leurs boissons. Le vin et la bière représenteraient respectivement le catholicisme et le protestantisme authentiques car eux du moins sont de vraies religions qui procurent force et réconfort. L’agnosticisme froid et clair serait une eau fraîche et claire, une excellente chose si vous pouvez vous en procurer. La plupart des mouvements éthiques et idéalistes modernes seraient très bien représentés par de l’eau gazeuse — autant dire beaucoup d’agitation pour rien.

Le spectacle d’un Dieu qui meurt est bien plus grandiose que le spectacle d’un homme vivant éternellement. Dans le premier cas on peut supposer que des changements terribles se sont vraiment produits dans l’alchimie de l’univers, dans le second cas cela ne fait que vaguement penser à des octogénaires hygiéniques et aux sels Enos.

Les illustrateurs chrétiens, étant de véritables mystiques, se préoccupaient surtout de restituer la réalité des objets. Car le dogme spirituel le plus élevé consiste à affirmer la matière. Ces artistes pieux recherchaient surtout, par leurs tracés clairs et leurs couleurs positives, à énoncer qu’un chat était véritablement un chat aux yeux de Dieu et qu’un chien était avant tout canin.

Le blasphème est par nature prosaïque. Il consiste à considérer comme une banalité quelque chose que d’autres personnes plus heureuses considèrent avec un ravissement plein d’imagination.

Contre le spécialiste, contre l'homme qui n'étudie que l'art ou l'électricité, le violon, la vis papillon ou autre chose, il n'y a qu'un seul argument vraiment important et, pour une raison ou pour une autre, il n'est jamais utilisé. Les gens disent que les spécialistes sont inhumains, mais c'est injuste. Les gens disent qu'un spécialiste n'est pas un homme mais ce n'est ni aimable ni vrai. La véritable difficulté en face des spécialistes et des experts est beaucoup plus fascinante et plus singulière. Le problème des experts n'est jamais que ce ne sont pas des hommes, c'est toujours que ce sont des hommes trop ordinaires dès qu'ils ne sont plus des experts. Chaque fois qu'ils ne sont pas exceptionnellement savants, ils sont superbement ignorants. Voilà la grande tromperie de ce qu'on appelle l'impartialité des hommes de science. Si les scientifiques n'avaient aucune idée en dehors de leur domaine scientifique ce serait peut-être bien, c'est-à-dire très bien pour tout le monde sauf eux. Mais la vérité c'est qu'en dehors de leurs idées scientifiques, ils ne manquent pas d'idées, au contraire ils sont remplis d'idées les plus vulgaires et les plus larmoyantes, celles qui se trouvent caractériser leur catégorie sociale. Si les biologistes n'avaient aucun point de vue sur l'art ou la morale ce serait peut-être très bien. La vérité est que les biologistes ont toutes les opinions fausses sur l'art et sur la morale qui se trouvent circuler à leur époque dans le beau monde.

Le sage suit une étoile, proche et grande et terrible dans les cieux ; mais plus il s'en approche et plus elle se rapetisse jusqu'à ce qu'il découvre que c'est une humble lanterne sur une petite auberge ou sur une étable. Il nous faut d'abord connaître les choses avant de pouvoir découvrir à quel point elles sont modestes.

La pudeur est une chose trop élémentaire et trop ardente pour que les modernes pédants puissent la comprendre.

La vérité est que si l’art n’est pas moral, il n’est pas seulement immoral, mais immoral de la manière la plus triviale, vulgaire et prosaïque. À l’avenir, les artistes ennuyeux qui refuseront d’être autre chose que des artistes resteront dans l’histoire comme l’incarnation de toutes les banalités et de toutes les vulgarités de leur temps.

L’artiste doit choisir entre être universel ou préférer une spécialité.